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L’ABBESSE DE CASTRO.

Campireali, père et fils, furent obligés de regagner Albano dans une voiture champêtre tirée par des bœufs.

Ce soir-là, lorsque Jules fut aux genoux d’Hélène, il était presque tout-à-fait nuit, et la pauvre fille fut bien heureuse de cette obscurité ; elle paraissait pour la première fois devant cet homme qu’elle aimait tendrement, qui le savait fort bien, mais enfin auquel elle n’avait jamais parlé.

Une remarque qu’elle fit lui rendit un peu de courage ; Jules était plus pâle et plus tremblant qu’elle. Elle le voyait à ses genoux : « En vérité, je suis hors d’état de parler, lui disait-il. » Il y eut quelques instans apparemment fort heureux ; ils se regardaient, mais sans pouvoir articuler un mot, immobiles comme un groupe de marbre assez expressif. Jules était à genoux, tenant une main d’Hélène ; celle-ci, la tête penchée, le considérait avec attention.

Jules savait bien que, suivant les conseils de ses amis, les jeunes débauchés de Rome, il aurait dû tenter quelque chose ; mais il eut horreur de cette idée. Il fut réveillé de cet état d’extase et peut-être du plus vif bonheur que puisse donner l’amour par cette idée : le temps s’envole rapidement ; les Campireali s’approchent de leur palais. Il comprit qu’avec une ame scrupuleuse comme la sienne il ne pouvait trouver de bonheur durable, tant qu’il n’aurait pas fait à sa maîtresse cet aveu terrible qui eût semblé une si lourde sottise à ses amis de Rome.

— Je vous ai parlé d’un aveu que peut-être je ne devrais pas vous faire, dit-il enfin à Hélène. Jules devint fort pâle ; il ajouta avec peine et comme si la respiration lui manquait : — Peut-être je vais voir disparaître ces sentimens dont l’espérance fait ma vie. Vous me croyez pauvre ; ce n’est pas tout, je suis brigand et fils de brigand.

À ces mots, Hélène, fille d’un homme riche et qui avait toutes les peurs de sa caste, sentit qu’elle allait se trouver mal ; elle craignit de tomber. Quel chagrin ne sera-ce pas pour ce pauvre Jules ? pensait-elle ; il se croira méprisé. Il était à ses genoux. Pour ne pas tomber, elle s’appuya sur lui, et, peu après, tomba dans ses bras comme sans connaissance. Comme on voit, au XVIe siècle, on aimait l’exactitude dans les histoires d’amour. C’est que l’esprit ne jugeait pas ces histoires-là, l’imagination les sentait, et la passion du lecteur s’identifiait avec celle des héros. Les deux manuscrits que nous suivons, et surtout celui qui présente quelques tournures de phrases particulières au dialecte florentin, donnent dans le plus grand détail l’histoire de tous les rendez-vous qui suivirent celui-ci. Le péril ôtait