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Hélène lui dit : — Voilà le bouquet, la lettre est cachée entre les fleurs. À peine la mère et la fille étaient-elles au lit, que le seigneur de Campireali rentra dans la chambre de sa femme ; il revenait de son oratoire qu’il était allé visiter et où il avait tout renversé. Ce qui frappa Hélène, c’est que son père, pâle comme un spectre, agissait avec lenteur et comme un homme qui a parfaitement pris son parti. Je suis morte, se dit Hélène.

— Nous nous réjouissons d’avoir des enfans, dit son père, en passant près du lit de sa femme pour aller à la chambre de sa fille, tremblant de fureur, mais affectant un sang-froid parfait ; nous nous réjouissons d’avoir des enfans, nous devrions répandre des larmes de sang plutôt quand ces enfans sont des filles. Grand Dieu ! est-il bien possible ! leur légèreté peut enlever l’honneur à tel homme qui depuis soixante ans n’a pas donné la moindre prise sur lui.

En disant ces mots, il passa dans la chambre de sa fille.

— Je suis perdue, dit Hélène à sa mère, les lettres sont sous le piédestal du crucifix, à côté de la fenêtre. — Aussitôt la mère sauta hors du lit, et courut après son mari ; elle se mit à lui crier les plus mauvaises raisons possibles, afin de faire éclater sa colère : elle y réussit complètement. Le vieillard devint furieux, il brisait tout dans la chambre de sa fille ; mais la mère put enlever les lettres sans être aperçue. Une heure après, quand le seigneur de Campireali fut rentré dans sa chambre à côté de celle de sa femme, et tout étant tranquille dans la maison, la mère dit à sa fille :

— Voilà tes lettres, je ne veux pas les lire, tu vois ce qu’elles ont failli nous coûter ! À la place je les brûlerais. Adieu, embrasse-moi.

Hélène rentra dans sa chambre fondant en larmes ; il lui semblait que, depuis ces paroles de sa mère, elle n’aimait plus Jules. Puis elle se prépara à brûler ses lettres ; mais, avant de les anéantir, elle ne put s’empêcher de les relire. Elle les relut tant et si bien, que le soleil était déjà haut dans le ciel quand enfin elle se détermina à suivre un conseil salutaire.

Le lendemain, qui était un dimanche, Hélène s’achemina vers la paroisse avec sa mère ; par bonheur, son père ne les suivit pas. La première personne qu’elle aperçut dans l’église, ce fut Jules Branciforte. D’un regard elle s’assura qu’il n’était point blessé. Son bonheur fut au comble ; les évènemens de la nuit étaient à mille lieues de sa mémoire. Elle avait préparé cinq ou six petits billets tracés sur des chiffons de vieux papier souillés avec de la terre détrempée