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profondes, les méfiances éternelles qui donnèrent tant d’esprit et de courage aux Italiens du XVIe siècle et tant de génie à leurs artistes. Vous verrez ces passions profondes empêcher la naissance de ce préjugé assez ridicule qu’on appelait l’honneur, du temps de Mme de Sévigné, et qui consiste surtout à sacrifier sa vie pour servir le maître dont on est né le sujet et pour plaire aux dames. Au XVIe siècle, l’activité d’un homme et son mérite réel ne pouvaient se montrer en France, et conquérir l’admiration, que par la bravoure sur le champ de bataille ou dans les duels ; et, comme les femmes aiment la bravoure et surtout l’audace, elles devinrent les juges suprêmes du mérite d’un homme. Alors naquit l’esprit de galanterie qui prépara l’anéantissement successif de toutes les passions et même de l’amour, au profit de ce tyran cruel auquel nous obéissons tous : la vanité. Les rois protégèrent la vanité et avec grande raison ; de là l’empire des rubans.

En Italie, un homme se distinguait par tous les genres de mérite, par les grands coups d’épée comme par les découvertes dans les anciens manuscrits : voyez Pétrarque, l’idole de son temps ; et une femme du XVIe siècle aimait un homme savant en grec autant et plus qu’elle n’eût aimé un homme célèbre par la bravoure militaire. Alors on vit des passions et non pas l’habitude de la galanterie. Voilà la grande différence entre l’Italie et la France, voilà pourquoi l’Italie a vu naître les Raphaël, les Giorgion, les Titien, les Corrège, tandis que la France produisait tous ces braves capitaines du XVIe siècle, si inconnus aujourd’hui et dont chacun avait tué un si grand nombre d’ennemis.

Je demande pardon pour ces rudes vérités. Quoi qu’il en soit, les vengeances atroces et nécessaires des petits tyrans italiens du moyen-âge concilièrent aux brigands le cœur des peuples. On haïssait les brigands quand ils volaient des chevaux, du blé, de l’argent, en un mot, tout ce qui leur était nécessaire pour vivre ; mais au fond le cœur des peuples était pour eux ; et les filles du village préféraient à tous les autres le jeune garçon qui, une fois dans la vie, avait été forcé d’andar alla machia, c’est-à-dire de fuir dans les bois et de prendre refuge auprès des brigands à la suite de quelque action trop imprudente.

De nos jours encore tout le monde assurément redoute la rencontre des brigands ; mais subissent-ils des châtimens, chacun les plaint. C’est que ce peuple si fin, si moqueur, qui rit de tous les écrits publiés sous la censure de ses maîtres, fait sa lecture habituelle de