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vaux de l’Arabie, et d’innombrables chameaux[1]. Mais jusqu’à présent, et quoique la conquête du Nadjd date depuis dix-huit ans, les généraux de Mohammed-Aly n’ont pas encore pu obtenir des Wahhâbites conquis le quart des moyens de transport dont ils ont un besoin absolu. En tout état de cause, les pâtres et les chameliers peuvent s’enfuir au désert avec des animaux dont le lait présente leur nourriture et leur boisson, — et le désert échappe à tous les dominateurs de la terre. — Il semble que Dieu ait voulu qu’il y eût au moins une retraite en ce monde pour l’homme qui préfère l’indépendance à tous les avantages de la civilisation.

Il me reste à envisager la question arabe sous une seconde face bien autrement grave et intéressante pour le publiciste européen que celle des progrès plus ou moins probables de la domination turque en Arabie. Que ce soit le sultan Mahmoud ou le pacha d’Égypte qui protège les deux villes saintes, et lève un impôt de douane sur les marchands américains qui vont chercher du café à Mokha, cela nous touche fort peu. Mais aujourd’hui l’Arabie est menacée d’un protectorat beaucoup plus efficace et surtout plus tenace que celui des Turcs, — le protectorat de la compagnie des Indes orientales.

Depuis que les Anglais ont repris la route des anciens dans leurs relations avec l’extrême orient, les ports de la mer Rouge ont dû fixer leur attention, et les côtes d’Arabie sont devenues pour eux l’objet d’une étude spéciale. Non contens de l’autorisation qui leur fut accordée par le vice-roi, de déposer leur charbon partout où ils voudraient et d’attacher à leurs dépôts des hommes de leur choix, ils ont voulu un port en toute propriété, — et comme Dieu veut ce que veut l’Angleterre, ils sont aujourd’hui en possession d’Aden, le meilleur de tous les mouillages d’Arabie. — Djeddah, cette vieille concierge de la Ville Sainte, a reçu, avec stupeur, dans ses murs, un consul européen vêtu à l’européenne, et les canons de la forteresse musulmane ont dû saluer de vingt-un coups le pavillon anglais arboré sur la maison consulaire.

Le port d’Aden n’appartenait ni au pacha ni au sultan Mahmoud, et l’Angleterre l’a payé de gré à gré du petit prince qui y régnait : il n’y a pas le mot à dire. Sous un point de vue général, l’on peut être certain que l’autorité de l’honorable compagnie des Indes s’établira sur le littoral de la Péninsule de la manière la plus régulière et

  1. Les bons dromadaires ou chameaux de selle ne viennent point du Nadjd, mais d’Omân, pays situé à près de quatre cents lieues de la Mecque.