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Le penchant à conclure et à systématiser, la hardiesse d’inductions, que Bréquigny n’avait pas, lui plaisait, à ce qu’il paraît, dans autrui ; il encouragea, de son approbation et de ses conseils, une nouvelle tentative faite dans le but de découvrir la véritable loi fondamentale de la monarchie française, tentative qui eut cela de singulier, entre toutes les autres, qu’elle fut l’œuvre d’une femme. Il y avait, en 1771, dans un château éloigné de Paris, une jeune personne éprise d’un goût invincible pour les anciens monumens de notre histoire, et qui, selon le témoignage d’un contemporain, s’occupait avec délices des formules de Marculphe, des capitulaires et des lois des peuples barbares[1]. Blâmée d’abord et combattue par sa famille qui ne voyait dans cette passion qu’un travers bizarre, Mlle de La Lézardière, à force de persévérance, triompha de l’opposition de ses parens et obtint d’eux les moyens de suivre son penchant pour l’étude et les travaux historiques. Elle y consacra ses plus belles années, dans une profonde retraite, ignorée du public, mais soutenue par le suffrage de quelques hommes de science et d’esprit, et par l’ambition, un peu téméraire, de combler une lacune laissée par Montesquieu dans le livre de l’Esprit des lois. Telle fut l’origine de l’ouvrage anonyme imprimé, en 1790, sous le titre de Théorie des lois politiques de la monarchie française, et publié, après la révolution, sous celui de Théorie des lois politiques de la France[2].

Dans cet ouvrage, dont le plan, à ce qu’on présume, fut suggéré par Bréquigny, tout semble subordonné à l’idée de faire un livre où les textes originaux parlent pour l’auteur, et qui soit, en quelque sorte, la voix des monumens eux-mêmes : intention louable, mais sujette à de grands mécomptes, et qui donna lieu ici au mode le plus étrange de composition littéraire. Chaque volume est divisé en trois sections qui doivent être lues, non pas successivement, mais collatéralement, et qui se répondent article par article. La première, appelée discours, expose, sous une forme dogmatique, l’esprit de chaque époque et les lois que l’auteur y a découvertes ou cru découvrir ; la seconde, appelée sommaire des preuves, rapporte ces lois réelles où prétendues à leurs sources, c’est-à-dire aux documens législatifs et historiques ; la troisième contient, sous le nom de preuves, des

  1. Journal des Savans, article de M. Gaillard. Avril 1791.
  2. « M. de Montesquieu, après avoir donné le titre de théorie à son ouvrage sur nos anciennes lois civiles, a exprimé le regret de ne pouvoir y joindre la théorie de nos lois politiques. Voilà l’autorité qui m’a donné à la fois la première idée du titre et de l’ouvrage. » (Théorie des lois politiques, etc., tom. II, avertissement de l’auteur.)