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SPIRIDION.

Et aussitôt, sans se laisser interroger davantage, il leur tourna le dos et entra dans l’église. À peine y étions-nous, que des cris confus se firent entendre au dehors. C’était comme des chants de triomphe et d’enthousiasme, mêlés d’imprécations et de menaces. Aucun cri, aucune menace ne répondait à ces voix étrangères. Tout ce que le pays avait d’habitans avait fui devant le vainqueur comme une volée d’oiseaux timides à l’approche du vautour. C’était un détachement de soldats français envoyés à la maraude. Ils avaient, en errant dans les montagnes, découvert les dômes du couvent, et, fondant sur cette proie, ils avaient traversé les ravins et les torrens avec cette rapidité effrayante qu’on voit seulement dans les rêves. Ils s’abattaient sur le couvent comme une nuée d’orage. En un instant, les portes furent brisées et les cloîtres inondés de soldats ivres qui faisaient retentir les voûtes d’un chant rauque et terrible dont ces mots vinrent entre autres frapper distinctement mon oreille :

Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !

J’ignore ce qui se passa dans le couvent. J’entendis, le long des murs extérieurs de l’église, des pas précipités qui semblaient, dans leur fuite pleine d’épouvante, vouloir percer les marbres du pavé. Sans doute, il y eut un grand pillage, des violences, une orgie… Alexis, à genoux sur la pierre du hic est, semblait sourd à tous ces bruits. Absorbé dans ses pensées, il avait l’air d’une statue sur un tombeau.

Tout à coup la porte de la sacristie s’ouvrit avec fracas ; un soldat s’avança avec méfiance ; puis, se croyant seul, il courut à l’autel, força la serrure du tabernacle avec la pointe de sa baïonnette, et commença à cacher avec précipitation, dans son sac, les ostensoirs et les calices d’or et d’argent. Alors Alexis, voyant que j’étais ému, se tourna vers moi, et me dit : — Soumets-toi, l’heure est arrivée ; la Providence, qui me permet de mourir, te condamne à vivre.

En ce moment d’autres soldats entrèrent et cherchèrent querelle à celui qui les avait devancés. Ils s’injurièrent et se seraient battus, si le temps ne leur eût semblé précieux pour dérober d’autres objets, avant l’arrivée d’autres compagnons de pillage. Ils se hâtèrent donc de remplir leurs sacs, leurs shakos et leurs poches de tout ce qu’ils pouvaient emporter. Pour y mieux parvenir, ils se mirent à casser, avec la crosse de leur fusil, les reliquaires, les croix et les flam-