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que je m’assoupis auprès du lit de mon maître, tandis qu’il parlait encore d’une voix affaiblie, au milieu des ténèbres ; car toute l’huile de la lampe était consumée, et le jour ne paraissait point encore. Au bout de quelques instans, je m’éveillai ; Alexis faisait entendre encore des sons inarticulés et semblait se parler à lui-même. Je fis d’incroyables efforts pour l’écouter et pour résister au sommeil ; ses paroles étaient inintelligibles, et, la fatigue l’emportant, je m’endormis de nouveau, la tête appuyée sur le bord de son lit. Alors, dans mon sommeil j’entendis une voix pleine de douceur et d’harmonie qui semblait continuer les discours de mon maître, et je l’écoutais sans m’éveiller et sans la comprendre. Enfin, je sentis comme un souffle rafraîchissant qui courait dans mes cheveux, et la voix me dit : Angel, Angel, l’heure est venue. Je m’imaginai que mon maître expirait, et, faisant un grand effort, je m’éveillai et j’étendis les mains vers lui. Ses mains étaient tièdes, et sa respiration régulière annonçait un paisible repos ; je me levai alors pour rallumer la lampe, mais je crus sentir le frôlement d’un être d’une nature indéfinissable qui se plaçait devant moi et qui s’opposait à mes mouvemens. Je n’eus point peur, et je lui dis avec assurance : Qui es-tu, et que veux-tu ? es-tu celui que nous aimons ? as-tu quelque chose à m’ordonner ?

— Angel, dit la voix, le manuscrit est sous la pierre, et le cœur de ton maître sera tourmenté tant qu’il n’aura pas accompli la volonté de celui…

Ici la voix se perdit, je n’entendis plus aucun autre bruit dans la chambre que la respiration égale et faible d’Alexis. J’allumai la lampe, je m’assurai qu’il dormait, que nous étions seuls, que toutes les portes étaient fermées ; je m’assis incertain et agité. Puis, au bout de peu d’instans, je pris mon parti, je sortis de la cellule, sans bruit, tenant d’une main ma lampe, de l’autre une barre d’acier que j’enlevai à une des machines de l’observatoire, et je me rendis à l’église.

Comment, moi, si jeune, si timide et si superstitieux jusqu’à ce jour, j’eus tout à coup la volonté et le courage d’entreprendre seul une telle chose, c’est ce que je n’expliquerai pas. Je sais seulement que mon esprit était élevé à sa plus haute puissance en cet instant, soit que je fusse sous l’empire d’une exaltation étrange, soit qu’un pouvoir supérieur à moi agît en moi à mon insu. Ce qu’il y a de certain, c’est que j’attaquai sans trembler la pierre du hic est, et que je l’enlevai sans peine. Je descendis dans le caveau, et je trouvai le cercueil de plomb dans sa niche de marbre noir. M’aidant du levier et de mon couteau, j’en dessoudai sans peine une partie ; je trouvai, à