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SPIRIDION.

— C’est d’être venus après eux. Dieu veut que nous marchions, et, s’il fait lever des prophètes au milieu du cours des âges, c’est pour pousser les générations devant eux, comme il convient à des hommes, et non pour les enchaîner à leur suite, comme il appartient à de vils troupeaux. Quand Jésus guérit le paralytique, il ne lui dit pas : Prosterne-toi, et suis-moi. Il lui dit : Lève-toi, et marche.

— Mais où irons-nous, mon père ?

— Nous irons vers l’avenir ; nous irons, pleins du passé et remplissant nos jours présens par l’étude, la méditation, et un continuel effort vers la perfection. Avec du courage et de l’humilité, en puisant dans la contemplation de l’idéal la volonté et la force, en cherchant dans la prière l’enthousiasme et la confiance, nous obtiendrons que Dieu nous éclaire et nous aide à instruire les hommes, chacun de nous selon ses forces… Les miennes sont épuisées, mon enfant. Je n’ai pas fait ce que j’aurais pu faire, si je n’eusse pas été élevé dans le catholicisme. Je t’ai raconté ce qu’il m’a fallu de temps et de peines pour arriver à proclamer, sur le bord de ma tombe, ce seul mot : Je suis libre !

— Mais ce mot en dit beaucoup, mon père ! m’écriai-je. Dans votre bouche, il est tout-puissant sur moi, et c’est de votre bouche seule que j’ai pu l’entendre sans méfiance et sans trouble. Peut-être, sans ce mot de vous, toute ma vie eût été livrée à l’erreur. Que j’eusse continué mes jours dans ce cloître, il est probable que j’y eusse vécu courbé et abruti sous le joug du fanatisme. Que j’eusse vécu dans le tumulte du monde, il est possible que je me fusse laissé égarer par les passions humaines et les maximes de l’impiété. Grâce à vous, j’attends mon sort de pied ferme. Il me semble que je ne peux plus succomber aux dangers de l’athéisme, et je sens que j’ai secoué pour toujours les liens de la superstition.

— Et si ce mot de ma bouche, dit Alexis profondément ému, est le seul bien que j’aie pu faire en ce monde, ces mots de la tienne sont une récompense suffisante. Je ne mourrai donc pas sans avoir vécu, car le but de la vie est de transmettre la vie. J’ai toujours pensé que le célibat était un état sublime, mais tout-à-fait exceptionnel, parce qu’il entraînait des devoirs immenses. Je pense encore que celui qui se refuse à donner la vie physique à des êtres de son espèce, doit donner, en revanche, par ses travaux et ses lumières, la vie intellectuelle au grand nombre de ses semblables. C’est pour cela que je révère la féconde virginité du Christ. Mais, lorsqu’après avoir nourri, dans ma jeunesse, des espérances orgueilleuses de science et de