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positaire, je me suis permis de laisser tomber un voile de poésie sur les heures d’enthousiasme et d’attendrissement qui, dissipant autour de moi les ténèbres du monde physique, m’ont mis en rapport direct avec cet esprit supérieur. Il est des choses intimes qu’il vaut mieux taire que de livrer à la risée des hommes. Dans l’histoire que j’ai écrite simplement de ma vie obscure et douloureuse, je n’ai pas fait mention de Spiridion. Si Socrate lui-même a été accusé de charlatanisme et d’imposture pour avoir révélé ses communications avec celui qu’il appelait son génie familier, combien plus un pauvre moine comme moi ne serait-il pas taxé de fanatisme, s’il avouait avoir été visité par un fantôme ? Je ne l’ai pas fait, je ne le ferai pas. Et pourtant je m’en expliquerais naïvement avec le savant modeste et consciencieux qui, sans ironie et sans préjugé, voudrait pénétrer dans les merveilles d’un ordre de choses vieux comme le monde, qui attend une explication nouvelle. Mais où trouver un tel savant aujourd’hui ? L’œuvre de la science, en ces temps-ci, est de rejeter tout ce qui paraît surnaturel, parce que l’ignorance et l’imposture en ont trop long-temps abusé. De même que les hommes politiques sont forcés de trancher avec le fer les questions sociales, les hommes d’étude sont obligés, pour ouvrir un nouveau champ à l’analyse, de jeter au feu, pêle-mêle, le grimoire des sorciers et les miracles de la foi. Un temps viendra où l’œuvre nécessaire de la destruction étant accompli, on recherchera soigneusement, dans les débris du passé, une vérité qui ne peut se perdre, et qu’on saura démêler de l’erreur et du mensonge, comme jadis Crésus reconnut à des signes certains que tous les oracles étaient menteurs, excepté la Pythie de Delphes, qui lui avait révélé ses actions cachées avec une puissance incompréhensible. Tu verras peut-être l’aurore de cette science nouvelle sans laquelle l’humanité est inexplicable, et son histoire dépourvue de sens. Tous les miracles, tous les augures, tous les prodiges de l’antiquité ne seront peut-être pas, aux yeux de tes contemporains, des tours de sorciers ou des terreurs imbéciles accréditées par les prêtres. Déjà la science n’a-t-elle pas donné une explication satisfaisante de beaucoup de faits qui semblaient surnaturels à nos aïeux ? Certains faits qui semblent impossibles et mensongers en ce siècle, auront peut-être une explication non moins naturelle et concluante, quand la science aura élargi ses horizons. Quant à moi, bien que le mot prodige n’ait pas de sens pour mon entendement puisqu’il peut s’appliquer aussi bien au lever du soleil chaque matin, qu’à la réapparition d’un mort, je n’ai pas essayé de porter la lumière sur