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prit humain. Cependant, à force de songer à ces choses, j’arrivai à me dire que la nature de l’ame, ou ce qu’on appelait alors le principe vital, étant un profond mystère, les facultés de l’ame étaient elles-même profondément mystérieuses ; car de deux choses l’une : ou mon esprit avait par momens la puissance de ranimer fictivement ce que la mort avait replongé dans le passé, ou ce que la mort a frappé avait la puissance de se ranimer pour se communiquer à moi. Or, qui pourrait nier cette double puissance dans le domaine des idées ? Qui a jamais songé à s’en étonner ? Tous les chefs-d’œuvre de la science et de l’art qui nous émeuvent jusqu’à faire palpiter nos cœurs et couler nos larmes, sont-ce des monumens qui couvrent des morts ? La trace d’une grande destinée est-elle effacée par la mort ? N’est-elle pas plus brillante encore au travers des siècles écoulés ? Est-elle dans l’esprit et dans le cœur des générations à l’état d’un simple souvenir ? Non, elle est vivante, elle remplit à jamais la postérité de sa chaleur et de sa lumière. Platon et le Christ ne sont-ils pas toujours présens et debout au milieu de nous ? Ils pensent, ils sentent par des millions d’ames ; ils parlent, ils agissent par des millions de corps. D’ailleurs, qu’est-ce que le souvenir lui-même ? N’est-ce pas une résurrection sublime des hommes et des évènemens qui ont mérité d’échapper à la mort de l’oubli ? Et cette résurrection n’est-ce pas le fait de la puissance du passé qui vient trouver le présent, et de celle du présent qui s’en va chercher le passé ? La philosophie matérialiste a pu prononcer que, toute puissance étant brisée à jamais par la mort, les morts n’avaient pas d’autre force parmi nous que celle qu’il nous plaisait de leur restituer par la sympathie ou l’esprit d’imitation. Mais des idées plus avancées doivent restituer aux hommes illustres une immortalité plus complète, et rendre solidaires l’une de l’autre cette puissance des morts et cette puissance des vivans qui forment un invincible lien à travers les générations. Les philosophes ont été trop avides de néant, lorsque, nous fermant l’entrée du ciel, ils nous ont refusé l’immortalité sur la terre.

Là, pourtant, elle existe d’une manière si frappante, qu’on est tenté de croire que les morts renaissent dans les vivans, et, pour mon compte, je crois à un engendrement perpétuel des ames, qui n’obéit pas aux lois de la matière, aux liens du sang, mais à des lois mystérieuses, à des liens invisibles. Quelquefois je me suis demandé si je n’étais pas Hébronius lui-même, modifié dans une existence nouvelle par les différences d’un siècle postérieur au sien. Mais, comme cette pensée était trop orgueilleuse pour être complètement vraie, je me