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cère puisse offrir à Dieu. Oui, certes, si l’homme qui s’endort dans l’indifférence de la vérité est vil, si celui qui s’enorgueillit dans une négation cynique est insensé ou pervers, l’homme qui pleure sur son ignorance est respectable, et celui qui travaille ardemment à en sortir est déjà grand, même lorsqu’il n’a encore rien recueilli de son travail. Mais il faut une ame forte ou une raison déjà mûre pour traverser cette mer tumultueuse du doute, sans y être englouti. Bien des jeunes esprits s’y sont risqués, et, privés de boussole, s’y sont perdus à jamais ou se sont laissé dévorer par les monstres de l’abîme, par les passions que n’enchaînait plus aucun frein. À la veille de te quitter, je te laisse aux mains de la Providence. Elle prépare ta délivrance matérielle et morale. La lumière du siècle, cette grande clarté de désabusement qui se projette si brillante sur le passé, mais qui a si peu de rayons pour l’avenir, viendra te chercher au fond de ces voûtes ténébreuses. Vois-la sans pâlir, et pourtant garde-toi d’en être trop enivré. Les hommes ne rebâtissent pas du jour au lendemain ce qu’ils ont abattu dans une heure de lassitude ou d’indignation. Sois sûr que la demeure qu’ils t’offriront ne sera point faite à ta taille. Fais-toi donc toi-même ta demeure, afin d’être à l’abri au jour de l’orage. Je n’ai pas d’autre enseignement à te donner que celui de ma vie. J’aurais voulu te le donner un peu plus tard ; mais le temps presse, les évènemens s’accomplissent rapidement. Je vais mourir, et, si j’ai acquis, au prix de trente années de souffrances, quelques notions pures, je veux te les léguer : fais-en l’usage que ta conscience t’enseignera. Je te l’ai dit, et ne sois point étonné du calme avec lequel je te le répète, ma vie a été un long combat entre la foi et le désespoir ; elle va s’achever dans la tristesse et dans la résignation, quant à ce qui concerne cette vie elle-même. Mais mon ame est pleine d’espérance en l’avenir éternel. Si parfois encore tu me vois en proie à de grands combats, loin d’en être scandalisé, sois-en édifié. Vois combien le désespoir est impossible à la raison et à la conscience humaine, puisqu’ayant épuisé tous les sophismes de l’orgueil, tous les argumens de l’incrédulité, toutes les langueurs du découragement, toutes les angoisses de la crainte, l’espoir triomphe en moi aux approches de la mort. L’espoir, mon fils, c’est la foi de ce siècle. — Mais reprenons notre récit. J’étais rentré au couvent dans un état d’exaltation. À peine eus-je franchi la grille, qu’il me sembla sentir tomber sur mes épaules le poids énorme de ces voûtes glacées sous lesquelles je venais une seconde fois m’ensevelir. Quand la porte se referma derrière moi avec un bruit formidable,