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SPIRIDION.

l’ame qu’une fausse philosophie avait voulu restreindre aux froides spéculations de la métaphysique, je sentais la vanité de tout ce qui m’avait séduit, et la nécessité d’une sagesse qui me rendît meilleur. Avec l’exercice du dévouement, j’avais retrouvé le sentiment de la charité ; avec l’amitié, j’avais compris la tendresse du cœur ; avec la poésie et les arts, je retrouvais l’instinct de la vie éternelle ; avec la céleste apparition du bon génie Spiridion, je retrouvai la foi et l’enthousiasme ; mais il me restait quelque chose à faire, je le savais bien, c’était d’accomplir un devoir. Ce que j’avais fait pour soulager autour de moi quelques maux physiques, n’était qu’une obligation passagère dont je ne pouvais me faire un mérite et dont la Providence m’avait récompensé au centuple en me donnant deux amis sublimes : l’ermite sur la terre, Hébronius dans le ciel. Mais, rentré dans le couvent, j’avais sans doute une mission quelconque à remplir, et la grande difficulté consistait à savoir laquelle. Il me venait donc encore à l’esprit de me méfier de ce qu’en d’autres temps j’eusse appelé les visions d’un cerveau enclin au merveilleux, et de me demander à quoi un moine pouvait être bon au fond de son monastère, dans le siècle où nous vivons, après que les travaux accomplis par les grands érudits monastiques des siècles passés ont porté leurs fruits, et lorsqu’il n’existe plus dans les couvens de trésors enfouis à exhumer pour l’éducation du genre humain, lorsque surtout la vie monastique a cessé de prouver et de mériter pour une religion qui elle-même ne prouve et ne mérite plus pour les générations contemporaines. Que faire donc pour le présent, quand on est lié par le passé ? Comment marcher et faire marcher les autres, quand on est garrotté à un poteau ?

Ceci est une grande question, ceci est la véritable grande question de ma vie. C’est à la résoudre que j’ai consumé mes dernières années, et il faut bien que je te l’avoue, mon pauvre Angel, je ne l’ai point résolue. Tout ce que j’ai pu faire, c’est de me résigner, après avoir reconnu douloureusement que je ne pouvais plus rien.

Ô mon enfant ! je n’ai rien fait jusqu’ici pour détruire en toi la foi catholique. Je ne suis point partisan des éducations trop rapides. Lorsqu’il s’agit de ruiner des convictions acquises, et qu’on n’a pu formuler l’inconnue d’une idée nouvelle, il ne faut pas trop se hâter de lancer une jeune tête dans les abîmes du doute. Le doute est un mal nécessaire. On peut même dire qu’il est un grand bien, et que, subi avec douleur, avec humilité, avec l’impatience et le désir d’arriver à la foi, il est un des plus grands mérites qu’une ame sin-