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une ingénieuse application de la machine pneumatique. C’est là que le commerce vient les prendre pour les conduire au bout du monde, où elles servent à habiller le déporté de Botany-Bay, l’insulaire de la Nouvelle-Zélande, ou les nouveaux convertis d’Otaïti ou des îles Sandwich. La vie que la vapeur donne à la manufacture tout entière ne peut se décrire. C’est elle qui est le principe de toute action, qui met en mouvement les machines, qui transporte les ballots et les pièces, qui soulève les leviers, qui serre ou desserre les vis, le tout sans confusion et avec un ordre et une adresse qui ferait honneur à l’ouvrier le plus intelligent. C’est que la vapeur, après tout, n’est que la force domptée et ordonnée par l’homme ; c’est le plus robuste et le plus obéissant des serviteurs ; c’est un esclave qui n’a ni passions, ni caprices, ni momens de paresse, et auquel on peut donner la plus haute somme d’intelligence possible et imposer l’ordre le plus parfait, c’est-à-dire l’intelligence qui repose sur la science, l’ordre qui résulte du calcul.

Glasgow a vingt manufactures de coton ou coton-mills, pareilles à celles que nous venons de décrire ; le nombre des fabriques d’étoffes légères est aussi très considérable. Dans quelques-unes on travaille des mousselines brodées par la vapeur. Glasgow fabrique aussi des draps, des mousselines de laine, des tartans et de grosses toiles, qu’on peut livrer sur nos marchés à 15 et 20 pour 100 au-dessous du prix des manufactures françaises.

Vers l’an 1668, un marchand de Glasgow, Patrick Gibson, eut l’idée de charger de barils de harengs un vaisseau qu’il expédia en France, et qui revint de ce pays avec un chargement de sel et d’eau-de-vie ; ce fut là l’origine du commerce de Glasgow. À cette époque, la ville ne comptait que six à sept mille habitans. La vente de son sel et de son eau-de-vie ayant valu à Patrick un grand profit, il put, l’année suivante, envoyer deux autres navires avec celui qui avait déjà fait le voyage. Alors, comme aujourd’hui, les habitans de Glasgow savaient à merveille la valeur d’un shilling et employaient à amasser le plus d’argent possible ce génie actif et entreprenant qui distingue les Écossais des basses terres : les voisins de Gibson l’imitèrent. Non-seulement on expédia des bâtimens dans les ports de France et d’Espagne, mais on en détacha quelques-uns vers l’Amérique, qui revinrent avec de riches chargemens. De là profits énormes, de là rapide accroissement de l’industrie de la ville, qui, en moins d’un siècle, vit le nombre de ses habitans quintuplé. Glasgow, jolie ville du second ordre, et le meilleur port du nord du Royaume Uni, était, avant tout, une ville commerçante, quand l’invention de James Watt en fit une ville industrielle du premier ordre, et, en moins de cinquante années, porta, comme nous venons de le voir, le nombre des habitans de 40,000 à 230,000. Certainement, ce dernier résultat est prodigieux ; cependant la statue de Patrick Gibson n’aurait pas été indigne, ce me semble, de figurer auprès de celle de James Watt. Patrick a le mérite, lui, d’être venu le premier.

Les historiens de Glasgow, prophètes du passé, comme tant d’autres, prétendent du reste que Glasgow, de tout temps, avait été prédestinée à une