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GLASGOW.

quelques centaines de ces cheminées dans Glasgow et sa banlieue. La garnison de ces citadelles se compose de cent cinquante malheureux toujours en mouvement, et cependant très taciturnes ; ce sont les ouvriers de la fabrique. Chacun a son emploi : ceux-ci d’abord, les chauffeurs, vivent dans des souterrains creusés sous le bâtiment, qu’on prendrait pour des soupiraux de l’enfer ; ils passent leur vie à alimenter d’énormes fourneaux. Dans de vastes chaudières établies sur ces fourneaux, bout l’eau dont la vapeur met en mouvement les balanciers des machines ; les mécaniciens, compagnons des chauffeurs, s’agitent au milieu de ces machines dont ils semblent eux-mêmes autant de ressorts vivans ; la moindre distraction leur est défendue, elle serait punie de mort. Ces fourneaux et ces machines, c’est le cœur de la fabrique. C’est de là que part la vie qui se répand dans chacune des parties de l’établissement. En effet, la vapeur fait mouvoir un arbre tournant qui s’élève perpendiculairement jusqu’au dixième étage ; à chacun des dix étages, des rouages s’engrènent dans les dents dont l’arbre est armé, et font mouvoir autant de machines appropriées chacune à un certain genre de travail. L’une, celle du dixième étage, saisit le coton dans la balle, le nétoie, et l’étend en couches minces comme la ouate que l’on place entre deux étoffes ; ces minces et larges feuilles de coton tombent en cascades éblouissantes sur les mille dents de la machine à carder, placée au neuvième étage. Cette machine peigne le coton et le divise en bandelettes que la machine du huitième étage saisit et roule en cordages ; ces cordages sont divisés en fils d’égales grosseurs ; ces fils sont placés sur d’innombrables fuseaux, et un mouvement circulaire d’une rapidité inouie est imprimé à chacun de ces fuseaux par les machines des étages suivans. Trois des étages inférieurs de la fabrique sont occupés chacun par soixante métiers à tisser, tous mus par le même mécanisme. Chacun de ces métiers accomplit comme un ouvrier adroit et intelligent le travail du tissage, lançant la navette, croisant les fils de la chaîne, serrant les fils de la trame, et plaçant sur un cylindre l’étoffe à mesure qu’elle est fabriquée. Un ouvrier, le plus souvent un enfant, surveille dix de ces métiers, qui peuvent, chacun, fabriquer par jour trente aunes d’étoffes, ce qui ferait par an, en déduisant soixante-cinq jours de chômage, 90,000 aunes par métier. Que l’un de ces métiers se dérange, que la navette se brouille ou soit épuisée, que le fil se rompe ou que la pièce soit achevée, l’ouvrier touche un ressort, et tout mouvement cesse aussitôt jusqu’à ce qu’on ait réparé l’erreur ou remédié au dommage.

Parcourons les immenses salles du bâtiment voisin ; la pièce d’étoffe qui vient d’être fabriquée y est soumise à un apprêt ; plus loin, elle tombe sous les vis et les presses de la machine à imprimer, qui, du même coup, soit à l’aide d’absorbans appliqués sur une teinte uniforme, soit à l’aide de corps colorans appliqués sur l’étoffe blanche, peut teindre sans bavures jusqu’à quinze à vingt pièces placées l’une sur l’autre. Enfin, dans l’un des bâtimens les plus voisins de la porte de la fabrique, les pièces imprimées et séchées, pliées par un autre appareil, sont réduites au plus petit volume possible par