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sance moins grande, jamais nous ne l’aurions commencée. C’est que, dans cette tâche de démolition, on s’aperçoit combien de soins ont coûté les œuvres les plus imparfaites, et que le plus impitoyable marteau s’arrête parfois, saisi d’un respect involontaire pour le travail humain. Peut-être même n’y a-t-il pas lieu de prononcer dès à présent contre l’Abrégé une sentence définitive. Si M. Balbi voulait prendre les choses sur un diapason moins haut, effacer une introduction qui n’enseigne rien et n’est guère qu’un hymne en l’honneur de toutes les vanités, améliorer ses principes généraux, changer l’ordonnance entière de son livre et en revoir attentivement les détails, il se peut que la critique consentît à regarder comme sérieux un succès de débit, issu d’une exploitation intelligente. Quelque accessible que puisse être M. Balbi aux illusions de l’amour-propre, il est impossible qu’il s’abuse sur le concert d’éloges qui a salué la venue de son enfant. On sait ce que valent ces fanfares d’avènement joyeux ; on sait aussi ce qu’elles coûtent. L’auteur le sait mieux que personne ; il a connu tous les secrets de cette manipulation laudative, et sans doute il donnerait beaucoup de ces hommages prévus pour le suffrage sincère d’un Klaproth, d’un Walkenaër, d’un Letronne. M. Balbi a été applaudi sans doute, mais comme on est applaudi au théâtre : c’est le lustre qui a donné. Toutes les fois qu’on l’a jugé réellement, les conclusions ont été sévères. Le capitaine Boteler l’a appelé, dans la Revue d’Édimbourg, « le plus présomptueux des géographes, » et naguère l’économiste Mac’Culloch qualifiait son article sur Londres de « tissu d’exagérations. » Ainsi, en même temps qu’il se fait reconnaître par la foule, M. Balbi se voit repoussé par les hommes spéciaux. C’est à lui à s’interroger maintenant ; après avoir beaucoup fait pour le succès, voudra-t-il faire quelque chose pour la science ?


Louis Reybaud