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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

imprescriptibles, et avait pour lui cette compassion mêlée de respect avec laquelle les hommes ordinaires voient un prince fugitif et dépouillé de ses états. Il fut assez heureux pour que les grands consentissent à laisser entrer le peuple dans le champ de mars, qui par là redevint véritablement l’assemblée de la nation… Il fut réglé que chaque comté députerait au champ de mars douze représentans choisis dans la classe des rachimbourgs ou, à leur défaut, parmi les citoyens les plus notables de la cité, et que les avoués des églises, qui n’étaient alors que des hommes du peuple, les accompagneraient[1]. » Ce portrait du premier empereur frank et cette interprétation de quelques articles de ses capitulaires sont de grandes extravagances, et pourtant j’ai à peine le courage de les qualifier ainsi. Il y eut de la puissance morale dans ces rêves d’une représentation universelle des habitans de la Gaule aux assemblées du champ de mai, et d’un roi s’inclinant, au VIIIe siècle, devant la souveraineté du peuple. Ils infusèrent au tiers-état cet orgueil politique, cette conviction de ses droits à une part du gouvernement, qui jusque-là n’avaient apparu que chez la noblesse. C’étaient de singulières illusions, mais ces chimères historiques ont contribué à préparer l’ordre social qui règne de nos jours, et à nous faire devenir ce que nous sommes.

Une fois que l’abbé de Mably, prêtant ses idées à Karle-le-Grand, a érigé, par les lois de ce prince, le peuple en pouvoir politique, le peuple, ou, comme il le dit lui-même, ce qui fut depuis le tiers-état, devient le héros de son livre. Il suit la destinée de ce souverain déchu, rétabli, et déchu de nouveau, avec une affection qui s’inquiète peu des tortures qu’elle fait subir à l’histoire. Il signale d’abord, comme un grand vice dans les institutions carolingiennes, la prétendue division de l’assemblée nationale en trois ordres distincts et indépendans l’un de l’autre ; puis, sous les successeurs de Charlemagne, il voit, ce sont ses propres expressions, les trois ordres cesser de s’entendre et le peuple n’être plus compté pour rien. En analysant le reste de l’ouvrage, on y trouve, pour thèses principales, les propositions suivantes : « Le peuple tomba dans un entier asservissement par la révolution qui rendit héréditaires les grands offices, et souveraines les justices des seigneurs. — L’affranchissement des communes et la ruine du gouvernement féodal lui rendirent quelque liberté dans

  1. Ibid., tome II, pag. 78, 81. — Remarques et preuves, pag. 295, 299.