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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

Pour moi, dès mon arrivée en Finmark, j’avais regardé ce voyage au Cap comme le terme obligé d’un séjour dans le Nord. Tandis que je faisais mes préparatifs, un de mes compatriotes arriva à Hammerfest, et nous résolûmes de partir ensemble. Le bateau était amarré dans le port, les matelots avaient déjà revêtu leurs tuniques de cuir et leurs longues bottes ; mais le vent du nord soufflait avec violence. Il était impossible de mettre à la voile ou de ramer. Nous restâmes ainsi toute une semaine, regardant à l’horizon et consultant les nuages. Enfin il s’éleva une légère brise d’ouest, et nous nous embarquâmes.

Toute cette mer est parsemée d’îles arides, habitées seulement par quelques familles de pêcheurs, visitées par les Lapons, qui y conduisent leurs rennes au mois de mai, et s’en retournent au mois de septembre. Le nom de ces îles indique leur nature. C’est l’île de la baleine, de l’ours, du renne, du goéland : Hvalœ, Biœrnœ, Rennœ, Maasœ. De longues bandes de neige les sillonnent toute l’année, et des brouillards épais voilent souvent leurs sommités.

Au-delà de Maasœ, les îles cessent du côté du nord ; on entre dans la pleine mer, et bientôt on aperçoit les trois pointes de Stappen, qui s’élèvent comme trois obélisques au milieu de l’Océan. Celle du milieu, plus haute et plus large que les deux autres, avait frappé les regards des Lapons ; ils la saluaient de loin comme une montagne sainte, et venaient sur sa cime offrir des sacrifices. Autrefois il y avait là quelques habitations ; il y avait aussi une église à Maasœ. Quand Louis-Philippe fit le voyage du Cap-Nord, il s’arrêta une nuit chez le sacristain de Maasœ, une autre chez un pêcheur de Stappen. Son voyage dans le Nord a déjà passé à l’état de tradition populaire. Les pêcheurs se le sont dit l’un à l’autre, les pères l’ont répété à leurs enfans, et les naïfs chroniqueurs de cette odyssée royale n’ont pu s’en tenir à la simple réalité ; ils l’ont agrandie et brodée selon leur fantaisie. On raconte donc qu’une fois il arriva ici des contrées du sud, de ces contrées merveilleuses où les arbres portent des pommes d’or, un grand prince, qui cachait, comme dans les contes de fées, son haut rang et sa fortune sous le simple habit de laine norvégien. D’abord on le prit pour un étudiant curieux qui cherchait à s’instruire en parcourant le pays, ou pour un marchand qui voulait connaître l’état de la pêche de Lofodden, d’autant qu’il était doux, honnête, et nullement difficile à servir. Mais bientôt on reconnut que c’était un personnage de distinction, car il avait avec lui un compagnon de voyage (M. le comte de Montjoye) qui ne lui parlait jamais qu’en se découvrant la tête, qui couchait sur le plancher tandis que le prince couchait dans un lit. Une fois, la femme d’un paysan chez lequel les deux voyageurs avaient passé la nuit, entra dans leur chambre au moment où ils s’habillaient, et elle vit que, sous son grossier vêtement de vadmel, le prince avait un habit de fin drap, tout couvert de croix et d’étoiles en diamans.

On dit aussi qu’une vieille Norvégienne, à qui il avait fait l’aumône, lui