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ment se trouvait sa mère. — Elle va bien, dit-il ; tes prières l’ont fortifiée et réjouie ; elle est assise dans son lit et voudrait te voir. — Nous rentrâmes dans la cabane, et tandis que le digne pasteur portait encore une consolation dans le cœur de la malade, les deux autres femmes préparaient notre déjeuner. La première faisait bouillir du poisson dans la marmite qui avait servi la veille à cuire des plantes marines ; la seconde pétrissait sur une planche des galettes de farine d’orge qu’elle rôtissait ensuite au moyen d’une pierre plate posée sur le feu. Un enfant nous apporta la marmite en plein air et mit une douzaine de galettes sur le gazon. Nous n’avions ni assiettes, ni fourchettes, nous pêchâmes avec la pointe d’un canif les queues de poisson qui flottaient dans l’eau, et puis nous allâmes boire au torrent, et la nouveauté de ce déjeuner nous fit oublier ce qu’il avait de peu confortable. Pendant ce temps, nos rameurs mangeaient une espèce de gruau composé d’huile et de foie de poisson. Quand ils eurent achevé ce triste repas, dont l’aspect seul me causait un profond dégoût, nous demandâmes à partir. Mais le bon Per Nilsson, qui devait encore être notre pilote, était retenu tantôt par sa mère, tantôt par sa femme ; puis il allait se promener sur la grève, tenant un enfant de chaque main, et, lorsque nous regardions du côté du bateau, il regardait sournoisement d’un autre côté. Enfin il s’arracha à son foyer et à ses affections ; il dit adieu à l’un, à l’autre, et rama bravement pendant huit heures pour nous reconduire sur le sol de Hvalœ.



v.
LE CAP-NORD.

De Hammerfest au Cap-Nord il n’y a guère qu’une trentaine de lieues, et de tous les habitans de la ville, le prêtre est le seul qui ait été voir cette dernière limite de l’Europe. Le voyage n’est cependant ni aussi pénible, ni aussi dangereux, que certains touristes l’ont dépeint. Nous l’avons fait en trois jours ; d’autres l’ont fait en moins de temps encore. Mais il est vrai de dire qu’autour de ces rochers qui forment la pointe du cap la mer est rarement calme. Même quand le vent se tait, les longues vagues de l’Océan glacial roulent avec fracas, comme si elles étaient encore soulevées par l’orage de la veille, et la côte est hérissée de brisans, où les flots impétueux se précipitent avec un rugissement pareil au bruit du tonnerre. Là, si l’on est surpris par l’ouragan, nul asile ne s’offre à la barque fragile, nulle terre ne la protége, et, si le vent contraire persiste, l’excursion de trente lieues peut durer trente jours.