disparut, et nous n’entrevîmes plus que les vagues noires et les masses confuses des montagnes qui présentaient dans l’ombre toutes sortes de formes étranges. Il était deux heures du matin lorsque nous arrivâmes à Rœvsboten : le ciel était encore chargé de nuages ; mais une clarté rougeâtre se montrait à l’horizon. À la lueur de cette pâle aurore, nous aperçûmes, sur une pointe de terre, une tente de Lapons nomades ; près de nous, un torrent, et au bord du torrent la cabane de gazon habitée par la vieille femme. — Irons-nous maintenant visiter ta mère ? demanda le prêtre à Per Nilsson, le maître d’école. — Oui, je le désirerais, répondit-il ; je sais qu’elle veut te voir dès que tu arriveras. Attends-moi à la porte, je vais lui dire que tu es venu.
Nous restâmes à la porte, tandis que les rameurs tiraient la barque sur la grève. Il faisait froid, humide, et nos manteaux mouillés par le brouillard ne pouvaient nous réchauffer ; Per Nilsson revint un instant après appeler le prêtre. Nous le suivîmes en nous courbant jusqu’à terre pour franchir le seuil de son habitation. C’était une pauvre cabane laponne, occupée par deux familles. D’un côté, étaient les peaux de rennes servant de lit ; de l’autre, un métier à tisser, quelques seaux en bois posés sur des planches, une marmite suspendue au-dessus du foyer, rien de plus. Deux femmes, qui avaient revêtu à la hâte leur tunique de vadmel, étaient assises sur leur lit, et, dans un coin obscur, la malade poussait des cris de douleur. Une lèpre incurable lui avait dévoré une partie du palais, et sa voix inintelligible pour tout autre que pour son fils, ressemblait à un râlement de mort. Le prêtre se posa devant son lit, et Per Nilsson lui servit d’interprète. La malheureuse, sentant qu’elle n’avait plus guère de jours à vivre, voulait recevoir aussitôt la dernière communion. Le prêtre prit ses vêtemens, son calice, et commença les prières des agonisans. Comme il craignait de se tromper en parlant une langue qui ne lui était pas familière, il priait en norvégien, et le fils de la malade, la tête inclinée, les mains jointes, traduisait à sa mère mourante les saintes paroles. C’est une scène que je n’oublierai jamais : cette cabane de pêcheur au milieu du désert ; cette malade, consolée par la foi dans ses douleurs ; ce prêtre avec ses vêtemens sacerdotaux, debout dans l’ombre ; un fils traduisant à sa mère les exhortations de l’agonie ; deux femmes silencieuses et comme attérées par la douloureuse majesté de ce tableau ; auprès d’elles, un jeune enfant endormi dans son ignorance ; nulle étoile au ciel ; nulle autre clarté dans cette retraite obscure qu’un rayon pâle de la lune descendant par le toit ; le vent sifflant sur les vagues de la mer, et le torrent aux flots orageux grondant à côté de nous ; c’est tout ce que j’ai vu dans ma vie de plus terrible et de plus imposant.
Quand la cérémonie fut achevée, la malade remercia Dieu et s’endormit. Per Nilsson nous mena dans une espèce de hangar où il renfermait ses provisions. Il étendit quelques peaux de rennes sur le plancher ; nous nous couchâmes là-dessus, et nous dormîmes d’un profond sommeil. Quelques heures plus tard, quand Per Nilsson ouvrit la porte, le prêtre lui demanda com-