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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

situations de la vie, pour être touché de tout ce qu’il y a de bon, de simple et d’honnête dans leur nature. J’ai souvent interrogé à ce sujet les hommes qui ont le plus de rapports avec eux, les prêtres, les marchands, les pêcheurs, et il n’en est pas un qui ne m’ait fait l’éloge de leur douceur de caractère et de leur hospitalité. On les accuse seulement quelquefois de s’abandonner avec trop peu de retenue au plaisir de boire, et de montrer trop de méfiance dans leurs relations. Le premier défaut vient de la pauvreté de leur vie, et, quant au second, la nature qui les trompe chaque jour, l’élément rigoureux qui les poursuit sans cesse, ne leur enseignent-ils pas la méfiance, et la supériorité pratique des hommes avec lesquels ils ont un compte à régler ne leur en fait-elle pas une loi ?

L’heure de l’office sonna, et nous nous dirigeâmes vers l’église. En un instant la nef fut pleine de Lapons. Le prêtre prêchait dans leur langue, et, quoique son sermon, comme il avait lui-même l’humilité de l’avouer, ne fût ni correctement écrit, ni correctement prononcé, tous l’écoutaient avec attention. Au sermon succéda le chant des psaumes, et la plupart des Lapons avaient leur livre à la main et joignaient leur voix à celles du chœur. Cependant les désirs vulgaires se mêlaient encore à cette pieuse cérémonie. Au beau milieu du chant, je vis une vieille femme traverser la foule et s’approcher d’un homme assis près de la chaire. Elle lui dit quelques mots à l’oreille ; alors il tira gravement de sa poche une pipe, la lui donna, et la vieille femme sortit avec un visage radieux.

Dans l’après-midi, il y avait une joyeuse assemblée chez le marchand. Plusieurs dames étaient venues de Hammerfest visiter Hvalsund, et l’on buvait du punch et l’on chantait. Pendant ce temps, les Lapons s’en allaient au magasin, achetant pour quelques sckellings d’eau-de-vie et de tabac, ou implorant un crédit que le prudent caissier ne leur accordait pas sans de longs préambules et de nombreuses restrictions. L’un d’eux, attiré par notre gaieté bruyante, entra dans la maison du marchand et entr’ouvrit doucement la porte du salon. Nous lui fîmes signe de s’approcher. Il vint s’asseoir par terre à nos pieds et écouta. Dans ce moment on entonnait une mélodie tendre et plaintive. Le Lapon baissa la tête et essuya une larme qui coulait sur ses joues. « Oh ! me dit-il, quand il s’aperçut que je le regardais, nous ne chantons pas ici, nous, mais nous chanterons au ciel. » Je lui donnai quelques sckellings, et je lui demandai s’il avait beaucoup de rennes et beaucoup de moutons, s’il était riche. « Dieu est riche, répondit-il, mais l’homme est pauvre. » Et, pendant une demi-heure, il entremêla ainsi à sa conversation des paroles bibliques. C’était un Lapon des frontières de la Russie, qui vient à Hvalsund chaque été avec son troupeau et s’en retourne l’automne dans les montagnes. — Où demeures-tu ? lui dis-je quand il nous quitta. — Le Lapon, me répondit-il, n’a point de patrie et point de demeure. Il porte sa tente d’un lieu à l’autre ; mais, si tu veux venir l’hiver prochain à Kitell, tu demanderas Ole Olssen, et je te recevrai. Le lendemain, au moment où j’allais partir, il vint à moi, et me dit en me présentant une vieille pièce de monnaie norvé-