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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

Hvalsund nous attendait à Sœholm. À quelque distance de là, nous aperçûmes une tente de Lapons. Ils avaient abandonné dans une île voisine leurs rennes aux soins d’un gardien, et ils étaient venus s’installer là pour pêcher. Leur tente se composait de cinq à six bandes de vadmel vieilles et noircies, posées sur quatre piquets et ouvertes par le haut pour laisser sortir la fumée. Une vieille femme était accroupie auprès d’un foyer, écrasant du sel sur une planche. Les hommes étaient dehors avec leurs robes en peau de rennes, immobiles et apathiques. Du poisson séchait sur des perches à quelques pas d’eux, et des entrailles de poisson jonchaient le sol. En face de leur demeure, de l’autre côté de l’eau, on voyait s’élever une pyramide en pierre. C’était une de ces pierres saintes, une de ces Passe-Vare où les Lapons allaient autrefois offrir des sacrifices. Mais autour de ce lieu vénéré, dont les idolâtres ne s’approchaient que la tête nue et le front incliné, il n’existe plus ni cornes de béliers, ni pieds de rennes, ni rien de ce qu’ils avaient coutume d’immoler au dieu de la chasse et au dieu du tonnerre, à Sarakka, la déesse des enfantemens, et à Jabbe-Akka la mère de la mort. Les missionnaires du XVIIIe siècle les ont convertis, et les Passe-Vare n’existent plus que comme des monumens d’une ancienne superstition qui a perdu son empire.

Le soir, après quatorze heures d’une marche pénible et d’une navigation contrariée par le vent, nous arrivâmes à Hvalsund, dans la maison du marchand. Tous ces marchands des petites îles du Nord sont tenus d’héberger les voyageurs, mais ils ont en même temps le droit de se faire payer, et jamais ils ne veulent rien recevoir. Ils ouvrent à l’étranger qui vient les voir leurs armoires et leurs celliers. La maîtresse de maison emploie pour lui ses meilleures recettes de cuisine, la jeune fille tire du buffet la plus belle nappe, et le père de famille apporte sur la table avec un naïf orgueil la vieille bouteille de vin de Porto qu’il réserve pour les grandes occasions. Chacun ainsi s’empresse autour de l’étranger, et, quand il s’en va, on lui tend la main et on le remercie d’être venu.

Hvalsund est une de ces stations de commerce où abordent chaque année quelques lodie russes et quelques bateaux, où les habitans des montagnes et des côtes viennent apporter leurs peaux de rennes, leur poisson, et faire leurs approvisionnemens de l’année. En 1763, on y bâtit une chapelle. C’est depuis ce temps le chef-lieu d’une paroisse toute peuplée de Lapons. Le prêtre de Hammerfest y vient trois fois par an célébrer l’office divin. Il envoie un exprès au marchand pour lui annoncer le jour de son arrivée ; le marchand l’annonce à un Lapon qui le répète à un autre, et la nouvelle court ainsi à quinze lieues à la ronde, de fiord en fiord, de montagne en montagne, et le dimanche toute la communauté accourt.

Elle était déjà réunie sous nos fenêtres, le matin, quand nous nous éveillâmes. Ceux-ci étaient venus à pied, ceux-là en bateau, et leur physionomie, leur costume, leur attitude, tout dans ces groupes étranges m’offrait un singulier et curieux tableau. Le caractère distinctif de ces assemblées de Lapons,