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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

elle voit arriver près de deux cents bâtimens, soit norvégiens, soit étrangers, dans l’espace de quelques mois[1]. Les uns, il est vrai, ne font que traverser la baie pour se diriger sur Archangel ou Tromsœ ; d’autres vont d’île en île compléter leur cargaison ; mais un grand nombre s’arrêtent. Ils apportent de la farine, du chanvre, des étoffes, et prennent en échange du poisson et de l’huile de poisson, des peaux de rennes, de chèvres, de loutres, de renards, et de l’édredon. Hammerfest est la capitale commerciale de tout le West-Finmark. Elle attire à elle la plupart des produits de la contrée, c’est-à-dire la chasse, la pêche, et répand en détail, dans les diverses stations marchandes du district, les denrées étrangères qu’elle a reçues.

Les Russes arrivent en grand nombre dans cette ville. Depuis l’ordonnance de 1789, ils ont conquis tout le commerce de Finmark, affermé jusqu’alors aux négocians de Bergen. À peine voit-on par année deux ou trois bricks suédois, danois ou allemands ; mais chaque jour de bon vent amène plusieurs lodie russes. Ce sont de courts navires à trois mâts, la plupart si vieux et si usés, qu’on ne les croirait pas capables de résister à un orage. Les plus petits ne sont pas même cloués ; de l’avant à l’arrière les planches sont cousues avec du chanvre. On raconte que l’empereur de Russie, voyant un jour un de ces navires entrer dans le port de Saint-Pétersbourg, en fut si frappé, qu’il l’exempta de tout droit de douane. Avec ces frêles bâtimens qui effraieraient un matelot de Portsmouth, les Russes doublent le cap Nord et pénètrent dans toutes les baies de l’Océan glacial. Tandis que les uns exploitent ainsi le commerce de Finmark, d’autres s’en vont stationner près des bancs de pêche. Plus habiles et plus actifs que les Norvégiens, ils remportent souvent un bateau chargé de poisson d’un lieu où leurs concurrens ne retirent qu’un filet à moitié vide. Il leur est défendu de pêcher à un mille de la côte, mais ils dépassent chaque jour les limites qui leur sont imposées. Ils fatiguent par leur persévérance l’attention de ceux qui doivent les surveiller. À l’est, à l’ouest, au nord, ils cernent de toutes parts la côte de Finmark. Ils y reviennent sans cesse. N’était la forteresse de Vardœhus qui les force à rebrousser chemin, ils seraient déjà paisiblement installés sur le sol norvégien.

À côté du navire russe apparaît la pauvre barque du Finnois, qui vient apporter au marchand le poisson qu’il a péniblement pêché pendant plusieurs mois et régler une partie de ses vieilles dettes. Sur la plate-forme en bois qui entoure les magasins, on aperçoit toutes sortes de costumes, on entend parler toutes les langues du nord. Et le marchand est là, alerte et affairé, la casquette de peau de loutre sur la tête, la plume sur l’oreille, courant de son comptoir à son entrepôt, tantôt attiré par une balle de farine dont il faut mesurer le poids, tantôt par une addition, et faisant un cours de philologie russe, suédoise, laponne, allemande, en même temps qu’un cours d’escompte. C’est sa saison de labeur. C’est de ces trois ou quatre mois de com-

  1. Beretminger om den œconomiske Tilstand y norge, pag. 550.