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l’exécution du traité. Cette manière de voir est la conséquence forcée et loyale de l’opinion que nous venons de citer, tout comme la conduite du ministère est la conséquence loyale de l’opinion opposée. Le traité se trouvant frappé de déchéance, partant plus d’exécution. Quant aux risques de ce défi à l’Europe, il se peut que M. Thiers et ses amis aient raison. Il se peut aussi qu’ils se trompent. La chambre, pas plus qu’eux, n’est dans le secret des négociations ; et nous ne savons pas si le gouvernement peut, sans inconvéniens, exhiber ses dépêches. Or, la chambre qui a entendu tant de déclamations et de beaux discours de la part de l’opposition, peut se trouver entraînée à croire que l’honneur et la sécurité de la France seraient en danger, si on ne donne pas une préfecture de plus à la Belgique. Il y a donc peut-être quelque chose à recueillir en s’exprimant franchement ; car, si le ministère était convaincu d’avoir négligé le soin des intérêts et de la dignité de la France, du côté de la Belgique, c’est de ce coup qu’il serait bien renversé. D’ailleurs, tout profit à part, M. Thiers, nous nous plaisons à le dire, est homme à se diriger selon la vieille maxime française, qui consiste à faire ce qu’on doit, quoi qu’il en puisse advenir. Il a déjà agi de la sorte, et, qui sait ? L’honorable franchise qui a causé une fois sa défaite, pourrait bien le faire triompher.

Il nous semble, à nous, que si les principes parlent ici très haut, les intérêts du tiers-parti lui recommandent aussi cette marche sincère. Si le tiers-parti se tait, si l’adresse n’exprime pas ses vues, elle exprimera par ce silence même celles des doctrinaires, qui sont toutes différentes, car on les a entendus dire, en mainte occasion, que, s’ils ont un reproche à adresser au ministère, c’est d’avoir trop tardé à faire exécuter les 24 articles. M. Thiers et le centre gauche seront donc perdus, absorbés par le parti doctrinaire. Et voyez un peu le chemin qu’auront fait les doctrinaires ! Le tiers parti, refusant leurs avances, leur disait, il y a deux ans, par la bouche de M. Thiers : Les hommes sans les choses ! Il y a un an, les doctrinaires sont venus, déposant en apparence les choses, c’est-à-dire leurs principes et leurs projets de gouvernement. Jusqu’au moment de la présente session, leurs organes ont gardé un silence presque approbatif sur la réforme électorale et sur tout ce qui était en question dans le parti de la gauche. Ils ne voulaient que le contact avec leurs alliés, il leur suffisait de les compromettre en enlevant leurs éloges et les témoignages apparens de leur retour d’estime. Dès la session, les doctrinaires se sont hâtés d’arborer le titre de conservateurs, de faire, quant à eux, des réserves sur la réforme électorale, sur les lois de septembre, sur les questions extérieures ; et aujourd’hui, dans la commission de l’adresse, ils proposent à leurs alliés de cacher leurs principes, de les dissimuler dans l’intérêt général de la coalition. En sorte qu’ils ont presque réussi à changer de rôles, et à être, en réalité, dans l’alliance acceptée avec hauteur par le tiers-parti, ceux qui auront pris les hommes sans les choses ! Est-ce là de l’habileté ?

Les doctrinaires réussiront-ils dans la commission de l’adresse ? Il se peut. Déjà ils ont refusé à M. Duvergier de Hauranne la jouissance d’auteur,