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REVUE DES DEUX MONDES.

Tout en rêvant ainsi, je suis allé au concert, et, comme il faut toujours qu’un rimeur rime ses pensées, j’ai fait, tant bien que mal, ces strophes :

Ainsi donc, quoi qu’on dise, elle ne tarit pas
La source immortelle et féconde
Que le coursier divin fit jaillir sous ses pas.
Elle existe toujours, cette sève du monde,
Elle coule, et les dieux sont encore ici-bas !

À quoi nous servent donc tant de luttes frivoles,
Tant d’efforts toujours vains et toujours renaissans ?
Un chaos si pompeux d’inutiles paroles,
Et tant de marteaux impuissans,
Frappant les anciennes idoles ?

Discourons sur les arts, faisons les connaisseurs ;
Nous aurons beau changer d’erreurs
Comme un libertin de maîtresse ;
Les lilas au printemps seront toujours en fleurs,
Et les arts immortels rajeuniront sans cesse.

Discutons nos travers, nos rêves et nos goûts,
Comparons à loisir le moderne et l’antique,
Et ferraillons sous ces drapeaux jaloux.
Quand nous serons au bout de notre rhétorique,
Deux enfans nés d’hier en sauront plus que nous.

Ô jeunes cœurs remplis d’antique poésie,
Soyez les bienvenus, enfans aimés des dieux !
Vous avez le même âge et le même génie.
La douce clarté soit bénie
Que vous ramenez dans nos yeux !

Allez, que le bonheur vous suive !
Ce n’est pas du hasard un caprice inconstant
Qui vous fit naître au même instant.
Votre mère ici-bas, c’est la Muse attentive
Qui sur le feu sacré veille éternellement.

Obéissez sans crainte au dieu qui vous inspire.
Ignorez, s’il se peut, que nous parlons de vous.
Ces plaintes, ces accords, ces pleurs, ce frais sourire,
Tous vos trésors, donnez-les nous :
Chantez, enfans, laissez-nous dire.


Alfred de Musset