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de son histoire ancienne, et de ce qu’il publia de l’histoire romaine, fraya le chemin à ceux qui vinrent après lui, avec plus de conscience de ce qu’ils faisaient, poursuivre la même œuvre, d’une manière bien autrement directe, par la logique et par l’éloquence. Le premier de ces avocats de la société antique contre le monde moderne, l’abbé de Mably, trouva des auditeurs préparés, et quelques ames déjà ouvertes à l’enthousiasme des grandes vertus et du dévouement civiques. Il fixa par la démonstration et le raisonnement, il érigea en principes sociaux, les choses que la poésie et le simple récit avaient fait aimer et admirer. Il prêcha la liberté, l’égalité sociale et l’abnégation patriotique ; il présenta le bonheur de tous comme fondé sur l’absence du luxe, l’austérité des mœurs et le gouvernement du peuple par lui-même ; il fit entrer dans le langage usuel les mots de patrie, de citoyen, de volonté générale, de souveraineté du peuple, toutes ces formules républicaines qui éclatèrent avec tant de chaleur et d’empire dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau[1].

Mably, logicien froid, mais intrépide, non content d’attirer les esprits hors de l’histoire nationale, résolut de la transformer elle-même, de lui imposer son langage, et de la faire servir de preuve à ses maximes de gouvernement. Telle fut la tentative qui donna naissance à l’ouvrage intitulé Observations sur l’histoire de France, ouvrage dont la première partie parut en 1765, et la seconde vingt-trois ans après[2]. L’auteur de cette nouvelle théorie historique différa surtout de ses devanciers, en se plaçant en dehors de toutes les opinions traditionnelles, et en appelant les faits sur le terrain de ses propres idées et de sa croyance individuelle. Ne prenant de chaque tradition de classe ou de parti que ce qui lui convenait, il n’en rejeta aucune, et les employa toutes, mutilées et tronquées à sa guise. Son système, formé capricieusement de lambeaux de tous les autres, n’eut rien de neuf que sa phraséologie empruntée à la politique des anciens. Aussi n’entreprendrai-je pas d’en donner le sommaire complet ; ce serait tomber dans une foule de redites, dont rien ne compenserait l’ennui. J’ai pu résumer les systèmes de Boulainvilliers et de Dubos, ils sont tout d’une pièce, et dans cette unité il y a quelque chose d’imposant. Chacun d’eux, en outre, est sorti des entrailles

  1. Voyez, sur ces deux écrivains, d’admirables pages de M. Villemain, Cours de Littérature française, tome II, leçons 1re  et 2me .
  2. Dans l’édition de 1765, publiée par l’auteur, l’ouvrage s’arrêtait au règne de Philippe de Valois et contenait 4 livres. La suite forma 4 nouveaux livres dans l’édition posthume de 1788.