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simple et le plus naïf du monde, et nous le trouvons charmant. En sortant de là, nous allons voir l’opéra à la mode ; nous voilà dans une tombe, dans l’enfer, que sais-je ? Voilà des bourreaux, des chevaux, des armures, des orgies, des coups de pistolet, des cloches, pas une phrase musicale ; un bruit à se sauver, ou à devenir fou ; et nous trouvons encore cela charmant, juste autant que Vedrai carino. Pauvre petit air, que Mozart semble avoir écrit pour une fauvette amoureuse, que deviendrait-il, grand Dieu ! si on le mettait dans un opéra à cloches et à trompettes ?

Ce que je disais tout à l’heure de ma science musicale, me donne sans doute peu d’autorité en cette matière ; je n’ai pas les armes nécessaires pour attaquer un genre que je crois mauvais, et tout ce que je puis dire, c’est qu’il est mauvais. De plus habiles que moi sauraient expliquer pourquoi, et de plus habiles le pensent ; mais on ne le dit pas assez. Je me souviens d’avoir lu quelque part une excellente question d’Alphonse Karr « Mais, monsieur, demande un spectateur à son voisin en écoutant un opéra, croyez-vous que ce soit réellement de la musique ? » Je ne sais trop ce que répond le voisin ; mais je répondrais en pareil cas : « Non, monsieur, ce n’est pas précisément de la musique, et cependant on ne peut pas dire non plus tout-à-fait que ce n’en soit pas. » C’est un terme-moyen entre de la musique et pas de musique ; ce sont des airs qui ne sont ni des airs ni des récitatifs, des phrases qui ont une velléité d’être des phrases, mais qui, au fond, n’en sont pas. Quant à des chants, à de la mélodie, ce n’est plus de cela qu’il s’agit ; on ne chante plus, on parle ou on crie ; c’est peut-être une sorte de déclamation notée, un compromis entre le mélodrame, la tragédie, l’opéra, le ballet et le diorama. C’est un assemblage de choses qui remuent les sens ; la musique s’y trouve peut-être, mais je ne saurais dire quel est le rôle qu’elle y joue. Du reste, demandez à tel chanteur italien que nous connaissons tous s’il admire cet opéra, il vous répondra que oui, qu’il y a dedans des choses superbes, de grands effets, de belles combinaisons d’harmonie, beaucoup de science et de travail ; mais demandez-lui s’il voudrait y chanter un rôle, il vous répondra qu’il aimerait mieux être aux galères.

Il est temps qu’on nous débarrasse de la maladie des effets. Il faut, lorsque Mlle Garcia débutera, qu’elle ait le courage de dire à l’orchestre : Messieurs, pas si haut ; aux acteurs : Vous criez trop fort ; et à l’auteur : Votre opéra est un charivari. Il faut du courage et de l’énergie pour oser parler aussi clairement ; mais, quand on s’appelle Garcia, qu’on est sœur de Ninette et fille de Don Juan, on peut tenir un pareil langage, ou plutôt on n’a pas besoin d’y penser ; la vérité est une force invincible, qui a son cours comme les fleuves, et le génie est le levier dont elle se sert. On parle déjà d’un opéra nouveau qu’on ferait pour Mlle Garcia, on dit aussi qu’elle va en Angleterre ; ce seraient deux torts ; il ne faut pas aller en Angleterre, parce que c’est à Paris qu’est le vrai public, et il ne faut pas débuter dans un opéra nouveau, parce que c’est dans les maîtres qu’est la vraie musique. De ce que toutes les cantatrices du monde ont joué un rôle, ce n’est pas une raison pour