mettre au piano, une voix se fait entendre dans la chambre voisine (c’était Mlle Garcia qui chantait précisément, dit-on, la cavatine de Norma) ; l’Anglaise croit reconnaître la voix de la Malibran elle-même, elle s’arrête, frappée de surprise ; elle s’imagine qu’un fantôme vient lui donner leçon ; la terreur s’empare d’elle, elle s’évanouit.
Il me semble qu’en pareil cas j’aurais été ouvrir la porte au fantôme. La première fois que j’ai entendu Mlle Garcia, j’ai cru aussi un peu voir un revenant, mais j’avoue que ce revenant de dix-sept ans m’a inspiré toute autre chose que l’envie de me trouver mal. Il est certain qu’aux premiers accens, pour quiconque a aimé la sœur aînée, il est impossible de ne pas être ému. La ressemblance, qui consiste, du reste, plutôt dans la voix que dans les traits, est tellement frappante qu’elle paraîtrait surnaturelle, s’il n’était pas tout simple que deux sœurs se ressemblent. C’est le même timbre, clair, sonore, hardi, ce coup de gosier espagnol qui a quelque chose de si rude et de si doux à la fois, et qui produit sur nous une impression à peu près analogue à la saveur d’un fruit sauvage. Mais, si le timbre seul était pareil, ce serait un hasard de peu d’importance, bon, en effet, tout au plus, à donner des attaques de nerfs ; heureusement pour nous, si Pauline Garcia a la voix de sa sœur, elle en a l’ame en même temps, et, sans la moindre imitation, c’est le même génie ; je ne crois, en le disant, ni exagérer, ni me tromper.
Je n’ai pas la prétention de rendre compte en détail du concert qui a été donné au théâtre de la Renaissance ; je ne vous dirai pas si Mlle Garcia va de sol en mi et de fa en ré, si sa voix est un mezzo soprano ou un contralto, par la très bonne raison que je ne me connais pas à ces sortes de choses, et que je me tromperais probablement. Je ne suis pas musicien, et je puis dire, à peu près comme M. de Maistre : J’en atteste le ciel, et tous ceux qui m’ont entendu jouer du piano. La jeune artiste a chanté trois airs : voici le jugement qu’en portait une personne d’esprit, dans une lettre écrite le lendemain, qui vaut mieux que ce que je pourrais dire : « Elle a chanté d’abord un air de Costa fait pour la Malibran, qui est une sorte de vocalise très favorable au développement de toutes les belles cordes ; grands applaudissemens, mais pas d’émotion ; ensuite l’air de M. de Bériot, mais l’orchestre a mal accompagné ; elle tient sa musique à la main avec une grace particulière, et elle est décidément jolie à la scène. Elle était tout en blanc, une chaîne noire avec un petit diamant sur le haut du front ; elle avait l’air plein de distinction ; elle salue aussi en se pliant un peu, et ce salut plein de modestie frappe par sa dignité ; sans séparation avec le tremolo qui avait enlevé le parterre, elle a chanté la cadence du diable ; mauvaise musique, tour de force à deux qui vous laisse étonné, et voilà tout. Vous voyez qu’elle n’a pu développer ni son talent dramatique, ni son vrai chant ; on l’avait un peu sacrifiée. »
Mlle Garcia sait cinq langues ; elle peut jouer sur un théâtre allemand, anglais, français, espagnol ou italien, et elle serait aussi à son aise à New-York ou à Vienne qu’à la Scala ou à l’Odéon. Elle s’accompagne elle-même avec la plus grande facilité ; lorsqu’elle chante, elle ne semble éprouver au-