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fondée sur l’estime réciproque des deux peuples, sur l’ensemble de leur situation, sur les lumières de leurs gouvernemens. Il faut, au contraire, lui savoir gré de ce qu’en prenant d’abord conseil de ses intérêts, elle nous convie à prendre nous-mêmes, en toute autre circonstance, conseil des nôtres avant tout, sans inquiétude sur le maintien de l’alliance, et à ne la suivre quelquefois que de loin.

Pour compléter le tableau de notre politique extérieure, je devrais, monsieur, vous parler des expéditions du Mexique et de Buenos-Ayres, qui ne témoignent ni faiblesse, ni abandon systématique des intérêts de la France au dehors ; je devrais, jetant un coup d’œil sur l’Espagne, examiner avec vous si l’on pourrait aujourd’hui, sans imprudence, engager les armées et l’argent de la France au milieu de l’horrible anarchie qui dévore la Péninsule. Mais l’espace me manque. Cependant je ne terminerai pas cette lettre sans un dernier mot sur l’ensemble de la question qui s’agite.

Le système de politique extérieure suivi sans la moindre déviation depuis la révolution de juillet, attaqué par l’opposition, défendu par M. Casimir Périer, M. Sébastiani, M. Guizot, M. Thiers et M. le duc de Broglie, est fondé sur le respect et la fidèle exécution des traités. Tous ces hommes d’état l’ont jugé compatible avec la tendance libérale, avec le caractère de patriotisme et de nationalité qui devaient signaler la politique du nouveau gouvernement. De grands sacrifices ont été faits pour ce système, sacrifices dénoncés à la France comme autant de trahisons, mais justifiés avec succès pendant six ans comme autant de preuves de sagesse, de force et de véritable libéralisme, par des voix éloquentes qui entraînaient toujours les majorités législatives. C’est ce système qui a maintenu la paix ; c’est à ce système, fidèlement suivi, que le roi et le gouvernement de la révolution de juillet ont dû en Europe une immense considération. Faut-il aujourd’hui s’en départir ? Faut-il se soustraire à des engagemens solennels, que l’acceptation de toutes les grandes puissances et l’adhésion inconditionnelle de la Belgique ont rendus irrévocables ? Faut-il compromettre, pour la Belgique seule, puisqu’en 1831 le traité ne paraissait contraire ni à l’honneur, ni à la sécurité de la France, les résultats péniblement acquis par huit années de modération et de paix ? Voilà toute la question. Que le ministère la pose aux chambres en ces termes ; nous verrons alors qui osera, et à quel prix on osera braver la responsabilité d’un changement de politique !


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V. de Mars.