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REVUE. — CHRONIQUE.

toujours passer les intérêts avant les affections et les principes. Tel a été, de tout temps, le caractère de la politique anglaise. Sous l’empire, les tories appelaient à la liberté l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Hollande, pour détruire en France le pouvoir colossal qui avait juré la perte de l’Angleterre. En 1814, ces beaux sentimens se sont évanouis. Sous la restauration, pendant que M. Canning faisait, à la face de son pays, le serment solennel de repousser à jamais la réforme, ce même ministre reconnaissait les nouvelles républiques de l’Amérique du sud, prenait parti pour la constitution de 1812 en Espagne, et menaçait de déchaîner sur l’Europe la tempête révolutionnaire. Aujourd’hui, le ministère whig est, en thèse générale, favorable à la liberté, et néanmoins, tandis que le ministre anglais à Madrid accordait un appui éclatant au parti exalté, le représentant de l’Angleterre à Lisbonne témoignait ouvertement sa sympathie et celle de son gouvernement au parti aristocratique qui s’était malheureusement soulevé en Portugal contre une constitution plus libérale que la sienne. Il ne faudrait pas en conclure le moins du monde que M. Villiers, héritier présomptif d’une grande fortune et d’une pairie anglaise, fut un démagogue, ni lord Howard de Walden, un suppôt du despotisme. Les principes politiques n’étaient pour rien dans leur conduite ; il ne s’agissait pour eux et leur gouvernement que d’une influence politique, applicable ensuite à certains intérêts de commerce, influence qui dépendait, à Madrid, de M. Mendizabal, et à Lisbonne de M. le duc de Palmella.

Cette politique de l’Angleterre n’est autre que celle du grand cardinal de Richelieu, qui donnait des subsides aux protestans d’Allemagne, en même temps qu’il prenait La Rochelle, et qui écrasait à l’intérieur toutes les résistances, pendant qu’il soutenait contre le roi d’Espagne les Provinces-Unies, le Portugal et la Catalogne insurgée. Maintenant, nous y regardons de plus près ; nous recherchons moins dans nos alliances la conformité des intérêts que la ressemblance des institutions, et nous voudrions former entre tous les états constitutionnels une espèce de société d’assurance contre les monarchies absolues. Je ne prononce pas entre les deux systèmes ; mais il est évident que celui de l’Angleterre en cette matière n’est pas le nôtre, ou plutôt n’est pas celui que l’opinion libérale semble imposer au gouvernement. Ainsi lord Palmerston n’a pas vu, dans l’exécution des clauses territoriales du traité du 15 novembre, ce prétendu abandon de la cause des peuples qu’on dénonce emphatiquement à la France, ou n’en a eu nul souci. Peut-être a-t-il jugé plus utile de ne pas resserrer, par une opposition dangereuse sur ce point, les vieux liens qui tendent à se relâcher entre la Russie, l’Autriche et la Prusse, afin de se préparer pour un avenir possible des alliés (si peu libéraux soient-ils), dans la grande lutte qui s’ouvrira un jour entre l’Angleterre et l’empire des czars. Je recommande cette considération aux puritains du libéralisme en fait d’alliance.

Qu’on se rassure donc, l’amitié de l’Angleterre n’est pas perdue ; elle est