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mentaires, il est, certes, un peu tard pour la comédie politique ; et si, en s’y engageant, on se fait de plus une loi sévère de ne se séparer à aucun moment de l’équité, de la décence, envers ceux même qu’on attaque et qu’on raille, si on apporte, en composant, toutes sortes de généreuses considérations de bon citoyen et d’honnête homme, il est certain qu’on ajoute aux difficultés déjà grandes, qu’on multiplie autour de soi les entraves.

Cela est vrai du genre. Mais qu’importe ? L’exception, pour le talent, est toujours possible. L’auteur de Bertrand et Raton, lequel, il est vrai, n’y regardait pas tout-à-fait de si près, et qui n’a accepté, en matière de difficultés, que l’indispensable, a réussi à faire rire. M. Delavigne, en prenant son sujet plus au sérieux, a réussi également, à sa manière, dans la voie de comédie moyenne qu’il s’est choisie. Nous venons trop tard pour analyser : ce sera assez de jeter quelques observations.

L’action a paru lente : ce n’est pas évidemment de ce côté que l’auteur a voulu porter ses forces. Il a donné pour nœud à sa pièce le moment décisif où un jeune orateur politique, idolâtre de l’opinion, et arrivé au comble de la faveur populaire, se trouve tout d’un coup en demeure de choisir entre cette orageuse faveur et son devoir. Tout semble pousser Édouard vers l’écueil : l’attrait du triomphe désormais facile, les illusions d’une amitié impérieuse et généreuse, personnifiées dans Mortins ; les insinuations de la tendresse et de l’amour, qui lui parlent par la bouche adorée de lady Straffort ; enfin, la menace d’un outrage assuré, non pas contre lui (il le mépriserait), mais sur la tête vénérée d’un père. Cette lutte morale, dont on n’a que les escarmouches durant les trois premiers actes, éclate au quatrième, et remplit le dernier de son triomphe. J’avoue qu’elle me paraît suffisante pour défrayer l’action dans ce genre de comédie qu’a voulu M. Delavigne : s’il y a longueur, cela tient plutôt à certaines circonstances matérielles, aux entr’actes, par exemple. Une pièce comme celle-là n’en devrait pas avoir, ou de quelques minutes à peine. Les unités, songions-nous dans l’intervalle des actes, même celles qui semblent les plus insignifiantes, l’unité de lieu, étaient donc bonnes parfois à quelque chose.

Les caractères ont du dessin ; ils se détachent bien, ils se détachent trop en ce sens qu’ils représentent trop chacun une idée, une partie du système politique, un ressort. Édouard, si généreux, si éloquent, et qu’on nous donne comme si puissant à la chambre et sur son parti, n’a pas dès l’abord assez de clairvoyance. Son vieux et noble père, pour avoir tant vécu du temps de Robert Walpole, n’a pas assez d’expérience. Mortins, si sincère qu’on le fasse, et si adonné qu’il soit à ses généreuses espérances, n’a pas assez d’arrière-pensée. Les meilleurs en ont : les Mortins qui en valent la peine ne sont pas ainsi tout entiers. Une comédie politique, pénétrante et rapide, qui percerait çà et là des jours hardis, qui irait dénoncer la nature humaine dans ses duplicités fuyantes jusqu’au sein des plus nobles cœurs, ne ferait que son métier. En un mot, un peu de Caverly répandu çà et là, à