Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/867

Cette page a été validée par deux contributeurs.
863
REVUE. — CHRONIQUE.

heure vers le théâtre, l’auteur des Vêpres siciliennes et des Comédiens s’est fait une route qui est bientôt devenue pour lui la principale, une carrière où, invité plutôt qu’entraîné par beaucoup des qualités et des habitudes littéraires de son esprit, il a su constamment les combiner, les diriger à bien sans jamais faire un faux pas ; où il a suivi d’assez près, bien qu’à distance convenable, les exigences variées du public, et n’a cessé de lui plaire, sans jamais forcer la mesure de la concession. Il y eut des momens difficiles. L’école romantique, en abordant le théâtre et en y luttant comme dans un assaut, réussit du moins à y déranger les anciennes allures et à y troubler la démarche régulière de ce qui avait précédé. M. Delavigne soutint le choc : il faut avouer pourtant que sur plusieurs points il plia. On l’a remarqué avec justesse, depuis son Louis XI jusqu’à son Luther il céda plus ou moins de terrain à l’invasion, et s’il dissimula avec habileté l’espèce de violence qu’il se faisait, il est permis de croire, du moins, que ce fut une violence. Les talens poétiques et littéraires d’aujourd’hui (sans parler des autres, politiques et philosophes) sont soumis à de redoutables épreuves qui furent épargnées aux beaux génies du siècle de Louis XIV, et il est bien juste de tenir compte, en nous jugeant, de ces difficultés singulières qu’on a à subir. Si Racine, dans les vingt-six années environ qui forment sa pleine carrière depuis les Frères ennemis jusqu’à Athalie, avait eu le temps de voir une couple de révolutions politiques et littéraires, s’il avait été traversé deux fois par un soudain changement dans les mœurs publiques et dans le goût, il aurait eu fort à faire assurément, tout Racine qu’il était, pour soutenir cette harmonie d’ensemble qui nous paraît sa principale beauté : il n’aurait pas évité çà et là dans la pureté de sa ligne quelque brisure. M. Delavigne, dans les pièces qu’il a données au théâtre pendant ces huit dernières années, tentait avec habileté et convenance une conciliation qui lui fait honneur, qu’on accepte chez lui, mais qui est demeurée insuffisante après chaque succès. Aujourd’hui que l’opinion publique, soit littéraire, soit politique, se détend un peu, il a fait trêve à cette déviation toujours savante, mais sensiblement contrainte, de son talent ; il est rentré, avec ce soin qui ne se lasse pas, dans sa manière vraie, dans celle qu’il doit aimer, j’imagine, de préférence. Il nous a donné une comédie qui est une sœur tout-à-fait digne des Comédiens, une comédie un peu née de l’épître, et qui continue avec honneur, en le rajeunissant par les sujets, ce genre de la Métromanie et du Méchant, toujours cher dans sa modération et son élégance à la scène française.

Mais le sujet est-il bien choisi ? On l’a contesté. La comédie politique est-elle possible de nos jours ? Elle ne le fut chez les Grecs eux-mêmes, et, dans cette démocratie d’Athènes, que durant un temps. En France, on a eu Figaro à la veille de la révolution, Pinto à la veille de l’empire. Dans la première et entière liberté après juillet 1830, on aurait pu avoir quelque œuvre de verve, un éclair rapide, mais l’homme a manqué. Quand les choses ont repris leur assiette et leur organisation, quand la société rentre dans les formes parle-