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inoccupé meilleure que celle du laboureur remplissant sans secours ses plus pénibles devoirs. Les enquêtes révèlent à cet égard un état de choses que, grace au ciel, la France concevrait à peine. Les pauvres, devenus les tyrans et l’effroi des communes au sein desquelles la loi du domicile (settlement) les parquait rigoureusement, afin qu’ils n’augmentassent pas le fardeau déjà trop lourd des autres localités, recevaient chez eux en pleine santé, et dans toute la vigueur de l’âge, des secours qui suffisaient à les faire vivre sans travail, surtout lorsqu’ils pouvaient les réclamer au nom d’une famille nombreuse. La taxe était devenue tellement accablante, que, dans quelques paroisses, elle avait motivé l’abandon des cultures et la désertion de la population agricole. Quoique le prix de cet impôt fût censé être acquitté par les pauvres en travaux d’utilité communale, ceci était devenu une pure fiction par l’impossibilité de les employer utilement. C’est ainsi, pour n’en citer qu’un seul exemple, qu’il fut établi en 1832 que, sur une somme de 7,036,968 livres sterling consacrée aux pauvres, moins de 340,000 livres sterling avaient été dépensées pour travail réellement accompli.

Enfin, l’incurie des juges de paix, suprêmes arbitres des décisions des overseers, avait laissé prévaloir presque partout le désastreux système des supplémens de gage (allowances), par suite duquel la paroisse était contrainte d’acquitter une portion du salaire des ouvriers, jusqu’à concurrence d’un minimum fixé par tête. De là cette profonde apathie du travailleur, assuré, quelque abaissement que sa paresse fît subir au taux de son salaire, d’y trouver un supplément dans la caisse publique ; de là ces mariages précoces et ces unions criminelles où l’esprit de spéculation venait rendre la débauche plus infâme, et cette rupture de tous les liens de famille à l’âge où l’enfant était en droit de réclamer pour lui-même la subvention communale.

Lorsqu’une telle masse de faits authentiques, recueillis dans toutes les parties du royaume par des commissaires spéciaux, fut mise sous les yeux du public, on comprit qu’un impôt de près de deux cents millions de francs, prélevé sur quatorze millions d’hommes, n’était pas encore le plus funeste résultat d’un tel état de choses. Il ne put échapper à personne que la condition du pauvre avait perdu son véritable caractère, et qu’en assurant à la paresse une existence plus facile que celle acquise à l’honnête ouvrier au prix de ses sueurs, elle était acceptée avec joie, recherchée avec empressement ; on vit que les pauvres, de plus en plus démoralisés, formaient un corps