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et l’éloge porte juste. » — « Oh ! je m’en garderais bien, s’écria-t-il en se frottant les mains comme un enfant ; ils seraient trop heureux dans les journaux de pouvoir tomber sur le grand-maître en une occasion qui leur serait permise. » — Il ne publia donc pas les Embellissemens de Paris, mais il fit imprimer les stances à M. de Châteaubriand, lequel était peu en agréable odeur[1].

Au milieu des affaires et de tant de soins, Fontanes pensait toujours aux vers ; la paresse chez lui, en partie réelle, était aussi, en partie, une réponse commode et un prétexte : il travaillait là-dessous. À diverses reprises, avant ses grandeurs, il avait songé à recueillir et à publier ses œuvres éparses ; il s’en était occupé en 89, en 96, et de nouveau en 1800. Les volumes même ont été vus alors tout imprimés entre ses mains ; mais un scrupule le saisit : il les retint, puis les fit détruire. Si ce fut par pressentiment de sa fortune politique, bien lui en prit. Il n’eût peut-être jamais été grand-maître, s’il eût paru poète autant qu’il l’était. Son beau nom littéraire le servit mieux, sans trop de pièces à l’appui.

Son poème de la Grèce sauvée, qu’il avait poussé si vivement durant les années de la proscription, ne lui tenait pas moins à cœur dans les embarras de sa vie nouvelle. Forcé de renoncer à une gloire poétique plus prochaine par des publications courantes, il se rejetait en imagination vers la grande gloire, vers la haute palme des Virgile et des Homère, et y fondait son recours. Il parlait sans cesse, dans l’intimité, de ce poème qu’il avait fait, presque fait, disait-il ; qu’il faisait toujours ! Il en hasardait parfois des fragmens à l’Institut. Il en expliquait à ses amis le plan, par malheur trop peu fixé dans

  1. Lors du fameux discours de réception que M. de Châteaubriand ne put prononcer à l’Académie, la contenance de Fontanes fut d’un ami ferme et fidèle. On peut lire, au tome II du Mémorial de Sainte-Hélène, la scène dont il fut l’objet à cette occasion, car c’est de lui qu’il s’agit, bien qu’on ne le nomme pas. Dans la suite du Mémorial, l’auteur a jugé à propos d’en venir à l’injure ; mais, comme preuve, il ne trouve à citer qu’un trait généreux. Esménard, qui avait eu, disait-on, de graves torts envers Fontanes, visait à l’Académie. Un académicien ami court chez celui qu’on croyait offensé pour s’assurer du fait, déclarant qu’en ce cas Esménard n’aurait pas sa voix : « Tout ce que je puis vous dire, c’est que je lui donne la mienne, » répondit Fontanes. Il a plu à l’auteur du Mémorial de voir là-dedans une preuve de servilité : « On peut juger de cet homme, dit-il, par le fait suivant. » À la bonne heure ! — Pour compléter cet ensemble des relations de Fontanes avec l’empereur, il y aurait encore à relever les divers traits honorables que M. le chevalier Artaud a consignés avec un zèle d’admirateur et d’ami dans son Histoire de Pie VII, les courageux et persévérans conseils qui poussaient à restaurer civilement la religion, et à honorer ses ministres devant les peuples ; ce mot échappé à Napoléon dans l’affaire du sacre : « Il n’y a que vous ici qui ayez le sens commun. » Oserons-nous croire pourtant avec M. Artaud (tom. II, pag. 391) que l’ode sur l’Enlèvement du Pape ait été lue à l’empereur ?