Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/763

Cette page a été validée par deux contributeurs.
759
DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

villers, dit-il, et M. l’abbé Dubos, ont fait chacun un système, dont l’un semble être une conjuration contre le tiers-état, et l’autre une conjuration contre la noblesse. Lorsque le soleil donna à Phaéton son char à conduire, il lui dit : « Si vous montez trop haut, vous brûlerez la demeure céleste ; si vous descendez trop bas, vous réduirez en cendres la terre. N’allez point trop à droite, vous tomberiez dans la constellation du serpent ; n’allez point trop à gauche, vous iriez dans celle de l’autel : tenez-vous entre les deux[1]. »

Ces traits légers d’une critique pleine de grace et de sens ne suffisaient pas à la gravité du sujet ; l’auteur de l’Esprit des Lois voulut s’expliquer plus nettement et faire aux deux systèmes opposés la part exacte du mérite et du blâme ; il ne tint pas la balance d’une main assez ferme, et son impartialité fléchit. Boulainvillers obtint plus de faveur et d’indulgence que son adversaire ; il avait traité des droits politiques de la nation, des assemblées délibérantes, du pouvoir législatif, d’une foule de points dont l’abbé Dubos, exclusivement cantonné dans la tradition romaine, faisait une entière abstraction. De plus, sa hardiesse de pensée, sa fierté d’homme libre et de gentilhomme, plaisaient à l’imagination de Montesquieu, et peut-être aussi l’homme de génie lui savait-il quelque gré de ses préjugés nobiliaires dont lui-même n’était pas exempt. De là vinrent ces mots empreints d’une bienveillance protectrice : « Comme son ouvrage est écrit sans aucun art et qu’il y parle avec cette simplicité, cette franchise et cette ingénuité de l’ancienne noblesse dont il était sorti, tout le monde est capable de juger et des belles choses qu’il dit, et des erreurs dans lesquelles il tombe. Ainsi je ne l’examinerai point, je dirai seulement qu’il avait plus d’esprit que de lumières, plus de lumières que de savoir ; mais ce savoir n’était point méprisable, parce que, de notre histoire et de nos lois, il savait très bien les grandes choses[2]. »

Quant au publiciste plébéien, pour lui la sévérité de l’illustre critique fut entière et sa clairvoyance impitoyable. Montesquieu aperçut, d’un coup d’œil, tout ce qu’il y avait chez l’abbé Dubos de choses hasardées, fausses, mal comprises, de conjectures sans fondement, d’inductions légères, de conclusions erronées, et il dit ce qu’il voyait dans un admirable morceau qui a toute la véhémence de la polémi-

  1. Esprit des Lois, liv. XXX, chap. x.
  2. Ibid., ibid.