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LE COMMERCE DÉCENNAL.

et ont donné lieu, entre toutes les nations, à un commerce d’échange dont la progression est encore loin de s’arrêter. Des troubles passagers, même de grandes révolutions, des crises de crédit produites par le sur-excitement de la concurrence intérieure et extérieure, ont pu ralentir quelques instans le mouvement ; mais dès que les causes cessent d’agir, les peuples s’empressent à l’envi de réparer le temps perdu, et l’époque subséquente vient, par un redoublement d’activité, compenser l’interruption momentanée et rétablir l’équilibre en conservant la loi d’accroissement.

Faut-il conclure de ce que nous venons de dire que chacune des nations appelées à prendre part au commerce général a gardé la situation relative d’où toutes sont parties ? Nous ne le croyons pas, et nous pensons, au contraire, que chaque jour la France cède une portion du terrain qu’elle avait conquis et qu’il lui était donné d’occuper. La démonstration de cette malheureuse vérité sera sans doute plus utile qu’une froide analyse du tableau décennal dans lequel nous puiserons cependant les élémens de notre conviction.

En Europe, le Portugal, à peine rendu à la tranquillité, n’a pu songer à rétablir ni le commerce, ni le travail. L’Espagne se consume en efforts stériles dans une lutte que les spectateurs laissent se prolonger, faute de pouvoir s’entendre sur le moyen de la terminer. En Italie, les états sardes, chaque jour plus façonnés à une domination uniforme, trouvent dans l’activité des anciens Ligures les élémens d’une prospérité commerciale en dehors de la vie politique ; les autres états suivent de leur mieux cet exemple, tandis que la Lombardie et Venise, devenant de plus en plus partie intégrante de l’empire autrichien, se contentent des richesses qu’un sol fertile assure comme récompense à leurs travaux. Les Pays-Bas, depuis leur séparation, ont lutté à l’envi : la Belgique, dans le développement des richesses de son sol et de ses capitaux ; la Hollande, dans l’amélioration de ses colonies lointaines dont l’importance s’accroît sans que le monde le remarque. L’un ou l’autre de ces deux états finira-t-il par céder une porte sur la mer du Nord à la grande confédération de douane des états germaniques ? La Prusse a réuni sous son patronage vingt-cinq millions d’Allemands, qui, au moyen d’un tarif uniforme, protecteur, mais point prohibitif, a plus fait que toutes les diètes et les confédérations politiques. Ce lien fictif, en créant des intérêts homogènes, acquiert chaque jour une solidité qu’il sera difficile d’entamer. Le Hanovre, le Brunswick et les villes anséatiques maritimes, gênés dans leurs rapports avec les états confédérés, paraissent destinés à accroître et compléter la réunion allemande. La nation germanique, comme peuple commerçant et comme peuple producteur, se trouvera bientôt confondue dans une seule direction, et à même d’user plus facilement de l’arme des représailles et du remède des traités de commerce. Quant à l’Autriche, avec des frontières naturelles du côté de terre, les yeux tournés vers l’Adriatique et vers ses possessions italiennes, préoccupée de la navigation du Danube, elle a peu à s’enquérir de ce qui se passera vers le Rhin et vers l’Elbe. Elle renonce facilement