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si fortement caractéristique, on trouve encore du récit et toute la froideur d’un discours indirect : « Il les exhorte à attaquer, sous sa conduite, Alarik dont il vient de recevoir une injure, à marcher contre les Visigoths, à les vaincre, avec la faveur de Dieu, et à s’emparer de leur territoire, disant que des catholiques ne devaient pas souffrir que la meilleure partie des Gaules fût possédée par les Ariens…[1]. »

Le texte de Grégoire de Tours, dont Adrien de Valois connaissait tout le prix, car il l’appelle avec vérité le fonds de notre histoire[2], subit continuellement dans son livre de semblables transformations. La monarchie des rois de la première race est trop pour lui la monarchie de son temps ; il applique à celle-là les maximes et les formules de l’autre, sans trop se douter du contraste, et aussi sans qu’il y ait rien de bien choquant dans cet anachronisme. On sent toujours l’homme d’un esprit judicieux, libre de toute préoccupation systématique, ne cherchant dans l’histoire autre chose que la vérité, mais manquant de pénétration pour la saisir tout entière, dans les détails comme dans l’ensemble, dans la peinture des mœurs comme dans la critique des faits. Avec ces qualités plutôt solides qu’attrayantes, avec un long ouvrage qui ne flattait aucune passion politique, aucune opinion de classe ni de parti, et dont la forme était celle d’une glose sur des textes absens, l’historien de la dynastie mérovingienne avait peu de chances de faire une vive impression sur le public contemporain. Personne n’entreprit de le traduire en français, ni d’exposer, en le résumant, la théorie de ses recherches et de ses découvertes historiques. Il n’eut pas l’honneur d’être chef d’école au XVIIe siècle, comme le furent, dans le siècle suivant, des hommes moins instruits, moins sensés, mais plus dogmatiques que lui. Il n’eut pas même le pouvoir de fixer les esprits et la science de son temps à l’égard de la question d’origine, de faire reconnaître comme seule véritable la descendance germanique des Franks et de renverser l’hypothèse des colonies gauloises ramenées en Gaule, hypothèse toujours admise par

    rio, et, superatis, redigamus terram in ditionem nostram. (Gregorii Turonensis, Historia Franc. eccles., lib. II, cap. XXXVII.)

  1. Hortatur, ut Alaricum, à quo injuriam receperit, se duce aggrediantur, Visigothosque deo propitio vincant, ac eorum regionem armis occupent ; neque enim catholicis ferendum esse ab Arianis partem optimam Galliarum obtineri. (Adriani Valesii, Rerum Francicarum, tom. i, pag. 294.)
  2. Et quoniam Gregorius Florentius, Turonicus episcopus, nostræ historiæ velut fundus est. (Præfatio ad tomum II Rerum Francicarum.)