il paraissait bien, en effet, que la reine Isabelle avait jeté le royaume à sa perte en le livrant aux Anglais ; mais qui viendrait le délivrer[1] ? Déjà une femme, Marie d’Avignon, était venue, l’année qui précéda la mission de la Pucelle, trouver le roi, lui disant qu’elle avait vu des armes, mais que Dieu l’avait avertie que ces armes n’étaient pas pour elle, mais pour une autre femme. Une autre inspirée, Catherine de la Rochelle, vint aussi trouver le roi et prêcher le peuple. Catherine de la Rochelle n’avait pas pour mission d’aller à la guerre, mais d’exhorter le peuple à apporter son argent au roi, afin de contribuer ainsi à la délivrance du pays.
Je pourrais citer encore, çà et là, d’autres traits qui montrent comment l’enthousiasme patriotique et religieux se répandait d’un bout de la France à l’autre. C’est cet enthousiasme qui a inspiré Jeanne d’Arc. Elle a exprimé et accompli la pensée du peuple indigné de sa longue oppression. Jeanne d’Arc, dont je ne veux pas contester les saintes inspirations ; Jeanne d’Arc, dont je ne veux pas nier la foi ardente et simple ; Jeanne d’Arc était en quelque sorte inévitable à cette époque. S’il n’y avait pas eu une Jeanne d’Arc à Domrémy, il y en aurait eu une autre quelque part, et le sol de France, fertilisé par la colère contre les Anglais, devait enfanter sa libératrice.
Ainsi, rien dans l’histoire qui soit accidentel, rien qui soit un hasard et un prodige. Que cela cependant ne diminue pas l’admiration que nous devons avoir pour cette merveille de notre histoire. Quand un grand évènement sort tout armé, pour ainsi dire, de la conscience des peuples, pour n’être pas merveilleux comme l’entend le vulgaire, l’évènement pourtant est merveilleux, comme l’entend la philosophie. Il n’a plus la taille d’un être humain, mais il a la taille d’un grand peuple qui revendique son indépendance. Je ne sais pas de plus merveilleuse grandeur.
Telle est l’idée que nous devons avoir de Jeanne d’Arc ; telle est, du moins, l’idée que je m’en forme après la lecture des mémoires du temps. Ce n’est pas de cette manière que Voltaire entend le personnage de Jeanne d’Arc, même quand il n’est pas poète burlesque, même quand il se pique d’être historien et philosophe. Voici comment, dans le Dictionnaire philosophique, il explique la mission de Jeanne d’Arc :
« Les curieux peuvent observer que Jeanne avait été long-temps dirigée, avec quelques autres dévotes de la populace, par un fripon,
- ↑ Histoire des ducs de Bourgogne, t. V