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ÉCRIVAINS MORALISTES ET CRITIQUES DE LA FRANCE.

« Il y a mille manières d’apprêter et d’assaisonner la parole ; Cicéron les aimait toutes. »

« Cicéron est dans la philosophie une espèce de lune ; sa doctrine a une lumière fort douce, mais d’emprunt : cette lumière est toute grecque. Le Romain l’a donc adoucie et affaiblie. »

Mais je m’aperçois que je me rengage. — Nul livre, en résumé, ne couronnerait mieux que celui de M. Joubert, cette série française, ouverte aux Maximes de La Rochefoucauld, continuée par Pascal, La Bruyère, Vauvenargues, et qui se rejoint, par cent retours, à Montaigne.

Il suffisait, nous disent ceux qui ont eu le bonheur de le connaître, d’avoir rencontré et entendu une fois M. Joubert, pour qu’il demeurât à jamais gravé dans l’esprit : il suffit maintenant pour cela, en ouvrant son volume au hasard, d’avoir lu. Sur quantité de points qui reviennent sans cesse, sur bien des thèmes éternels, on ne saurait dire mieux ni plus singulièrement que lui : « Il n’y a pas, pense-t-il, de musique plus agréable que les variations des airs connus. » Or, ses variations, à lui, mériteraient bien souvent d’être retenues comme définitives. Sa pensée a la forme comme le fond, elle fait image et apophthegme. Espérons, à tant de titres, qu’elle aura cours désormais, qu’elle entrera en échange habituel chez les meilleurs, et enfin qu’il vérifiera à nos yeux sa propre parole : « Quelques mots dignes de mémoire peuvent suffire pour illustrer un grand esprit. »

Si on réimprimait pour le public, il y aurait quelques corrections à apporter, quelques pensées énigmatiques ou recherchées à supprimer, comme celle de l’enthousiasme qui agit en spirale, conformément aux entrailles (page 167), quelques autres d’une vérité superflue à omettre, comme celles : (page 216) qu’il y a toujours du charme dans la grace, et (page 149) que, pour bien écrire, il faut du temps et de l’esprit. J’aurais encore à indiquer (pages 218 et 290, 50 et 282) des pensées à peu près les mêmes, répétées ; (pages 27, 77, 123, et peut-être ailleurs) quelques erreurs typographiques qui troublent le sens. Il faudrait, je crois, abréger, alléger le chapitre des Pensées diverses, et en renvoyer plus d’une, ou à des chefs précédens, ou à des subdivisions nouvelles, comme de l’amitié, des anciens, de la vérité. On voit, au détail de mes précautions, que je ne veux absolument pas supposer que le livre en reste là et que l’illustre éditeur n’achève pas tout son ouvrage. L’honorable famille du mort pourrait-elle refuser dispense pour l’entier bienfait ?


S.-B.