« Nous vivons dans un temps malade ; il le voit. Notre intelligence est blessée ; il nous pardonnera, si nous lui donnons tout entier ce qui peut nous rester de sain. »
Il comprenait la piété, le plus beau et le plus délié de tous les sentimens, comme on a vu qu’il entendait la poésie ; il y voyait des harmonies touchantes avec le dernier âge de la vie : « Il n’y a d’heureux par la vieillesse que le vieux prêtre et ceux qui lui ressemblent. » Il s’élevait et cheminait dans ce bonheur en avançant ; la vieillesse lui apparaissait comme purifiée du corps et voisine des dieux. Il entendait plus distinctement cette voix de la sagesse, qui, comme une voix céleste, n’est d’aucun sexe, cette voix, à lui familière, des Fénelon et des Platon. « La sagesse, c’est le repos dans la lumière ! »
Mais, comme critique littéraire, il en faut tirer encore certains mots qui s’ajouteraient bien au chapitre des Ouvrages de l’esprit de La Bruyère, et dont quelques-uns vont droit à nos travers d’aujourd’hui :
« Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise. »
« Il est des mots amis de la mémoire ; ce sont ceux-là qu’il faut employer. La plupart mettent leurs soins à écrire de telle sorte, qu’on les lise sans obstacle et sans difficulté, et qu’on ne puisse en aucune manière se soutenir de ce qu’ils ont dit ; leurs phrases amusent la voix, l’oreille, l’attention même, et ne laissent rien après elles ; elles flattent, elles passent comme un son qui sort d’un papier qu’on a feuilleté. » Ceci s’adresse en arrière à l’école de La Harpe, au Voltaire délayé, et, en général, le péril n’est pas aujourd’hui de tomber dans ce coulant.
Voici qui nous touche de plus près : « Avant d’employer un beau mot, faites-lui une place. » Avec la quantité de beaux mots qu’on empile, sait-on encore le prix de ces places-là ?
« L’ordre littéraire et poétique tient à la succession naturelle et libre des mouvemens ; il faut qu’il y ait entre les parties d’un ouvrage de l’harmonie et des rapports, que tout s’y tienne et que rien ne soit cloué. » Maintenant, dans la plupart des ouvrages, les parties ne se tiennent guère ; en revanche (je parle des meilleurs), ce ne sont que clous martelés et rivés, à tête d’or.
À nos poètes lyriques ou épiques, il semble dire : « On n’aime plus que l’esprit colossal. »
À tel qui violente la langue et qui est pourtant un maître : « Nous devons reconnaître pour maîtres des mots ceux qui savent en abuser, et ceux qui savent en user ; mais ceux-ci sont les rois des langues, et