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exempt), il n’a que celle qui ne déplaît pas parce qu’elle est sincère, que lui-même définit comme tenant plus aux mots, tandis que la prétention, au contraire, tient à la vanité de l’écrivain : « Par l’une l’auteur semble dire seulement au lecteur : Je veux être clair, ou je veux être exact, et alors il ne déplaît pas ; mais quelquefois il semble dire aussi : Je veux briller, et alors on le siffle. »

Marié depuis plusieurs années déjà, retiré de temps en temps à Villeneuve-sur-Yonne, il y conviait son ami et la famille de son ami ; il voudrait avoir à leur offrir, dit-il, une cabane au pied d’un arbre, et il ne trouve de disponible qu’une chaumière au pied d’un mur. Il parle là-dessus avec un frais sentiment du paysage, avec un tour et une coupe dans les moindres détails, qui fait ressembler sa phrase familière à quelque billet de Cicéron :

« Cette chaumière au pied d’un mur est une maison de curé au pied d’un pont. Vous y auriez notre rivière sous les yeux, notre plaine devant vos pas, nos vignobles en perspective, et un bon quart de notre ciel sur votre tête. Cela est assez attrayant.

« Une cour, un petit jardin dont la porte ouvre la campagne ; des voisins qu’on ne voit jamais, toute une ville à l’autre bord, des bateaux entre les deux rives, et un isolement commode ; tout cela est d’assez grand prix, mais aussi vous le paieriez. Le site vaut mieux que le lieu. »

Lorsque, revenu de sa proscription de fructidor, Fontanes fut réinstallé en France, nous retrouvons M. Joubert en correspondance avec lui. Il le console en sage tendre, de la mort d’un jeune enfant :

« Ces êtres d’un jour ne doivent pas être pleurés longuement comme des hommes ; mais les larmes qu’ils font couler sont amères. Je le sens, quand je songe surtout que votre malheur peut, à chaque instant, devenir le mien. Je vous remercie d’y avoir songé. Je ne doute pas qu’en cas pareil vous ne fussiez prêt à partager mes sentimens comme je partage les vôtres. Les consolations sont un secours qu’on se prête et dont tôt ou tard chaque homme a besoin à son tour. »

Il revient de là à sa difficulté d’écrire, à ses ennuis, à sa santé, à se peindre lui-même selon ce faible aimable et qu’on lui pardonne ; car, si occupé qu’il soit de lui, il a toujours un coin à loger les autres : c’est l’esprit et le cœur le plus hospitaliers. Il se récite donc en détail à son ami ; il se plaint de son esprit qui le maîtrise par accès, qui le surmène : Mme Victorine de Châtenay disait, en effet, de lui qu’il avait l’air d’une ame qui a rencontré par hasard un corps, et