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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

ayez trouvé quelques rapports d’ame avec vous (l’autre personne était M. Joubert), vous êtes la première qui ayez rempli toutes les conditions que je cherchais dans un homme. Tête, cœur, caractère, j’ai tout trouvé en vous à ma guise, et je sens désormais que je vous suis attaché pour la vie… Ne trouvez-vous pas qu’il y ait quelque chose qui parle au cœur dans une liaison commencée par deux Français malheureux loin de la patrie ? Cela ressemble beaucoup à celle de René et d’Outougami : nous avons juré dans un désert et sur des tombeaux. » Ainsi se croisaient dans un poétique échange les souvenirs de l’Atlantique et ceux de l’Hymette, les antiques et les nouvelles images.

Le 18 brumaire trouva Fontanes déjà rentré en France, et qui s’y tenait d’abord caché. Je conjecture que la Maison rustique, transformation heureuse de l’ancien Verger, est le fruit aimable de ce premier printemps de la patrie. Il ne tarda pourtant pas à vouloir éclaircir sa situation, et il adressa au Consul la lettre suivante, dont la noblesse, la vivacité, et, pour ainsi dire, l’attitude, s’accordent bien avec la lettre de 1797, et qui ouvre dignement les relations directes de Fontanes avec le grand personnage.

À BONAPARTE.

« Je suis opprimé, vous êtes puissant, je demande justice. La loi du 22 fructidor m’a indirectement compris dans la liste des écrivains déportés en masse et sans jugement. Mon nom n’y a pas été rappelé. Cependant j’ai souffert, comme si j’avais été légalement condamné, trente mois de proscription. Vous gouvernez et je ne suis point encore libre. Plusieurs membres de l’Institut, dont j’étais le confrère avant le 18 fructidor, pourront vous attester que j’ai toujours mis dans mes opinions et mon style, de la mesure, de la décence et de la sagesse. J’ai lu, dans les séances publiques de ce même Institut, des fragmens d’un long poème qui ne peut déplaire aux héros, puisque j’y célèbre les plus grands exploits de l’antiquité. C’est dans cet ouvrage, dont je m’occupe depuis plusieurs années, qu’il faut chercher mes principes, et non dans les calomnies des délateurs subalternes qui ne seront plus écoutés. Si j’ai gémi quelquefois sur les excès de la révolution, ce n’est point parce qu’elle m’a enlevé toute ma fortune et celle de ma famille[1], mais parce que j’aime passion-

  1. La fortune de Mme de Fontanes fut perdue dans le siége et l’incendie de Lyon : une maison qu’elle possédait fut écrasée par les bombes ; des recouvremens qui lui étaient dus ne vinrent jamais.