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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

briand, qu’il avait déjà connu en 89. C’est à l’illustre ami de nous dire en ses Mémoires (et il l’a fait) cette liaison étroitement nouée dans l’exil, ces entretiens à voix basse au pied de l’abbaye de Westminster, ces doubles confidences du cœur et de la muse ; et puis les longs regards ensemble vers cette Argos dont on se ressouvient toujours, et qui, après avoir été quelque temps une grande douceur, devient une grande amertume. Fontanes n’hésita pas un seul instant à reconnaître l’étoile à ce jeune et large front. Quand d’autres spirituels émigrés, le chevalier de Panat et ce monde léger du XVIIIe siècle, paraissaient douter un peu de l’astre prochain du jeune officier breton, tout rêveur et sauvage, Fontanes leur disait : « Laissez, messieurs, patience ! il nous passera tous. » Et à son jeune ami il répétait : « Faites-vous illustre. » M. de Châteaubriand, à son tour, lui rendait en conseils et en encouragemens ce qu’il en recevait ; et quand Fontanes, après avoir repris vivement à la Grèce sauvée, semblait en d’autres momens s’en distraire, son ami l’y ramenait sans cesse : « Vous possédez le plus beau talent poétique de la France, et il est bien malheureux que votre paresse soit un obstacle qui retarde la gloire. Songez, mon ami, que les années peuvent vous surprendre, et qu’au lieu des tableaux immortels que la postérité est en droit d’attendre de vous, vous ne laisserez peut-être que quelques cartons. C’est une vérité indubitable qu’il n’y a qu’un seul talent dans le monde : vous le possédez cet art qui s’assied sur les ruines des empires, et qui seul sort tout entier du vaste tombeau qui dévore les peuples et les temps. Est-il possible que vous ne soyez pas touché de tout ce que le Ciel a fait pour vous, et que vous songiez à autre chose qu’à la Grèce sauvée ? » Ainsi au poète mélancolique, délicat, pur, élevé, noble, mais un peu désabusé, parlait l’ardent poète avec grandeur.

Ces paroles, tombant dans les heures fécondes du malheur, faisaient une vive et salutaire impression sur Fontanes, et, durant le reste de sa proscription, on le voit tout occupé de son monument. Son imagination se passionnait en ces momens extrêmes ; il ressaisissait en idée la gloire. Il quitta l’Angleterre pour Amsterdam, revint à Hambourg, séjourna à Francfort-sur-le-Mein : ses lettres d’alors peignent plus vivement son ame à nu et ses goûts, du fond de la détresse. Il manquait des livres nécessaires, n’avait pour compagnon qu’un petit Virgile qu’il avait acheté près de la Bourse à Amsterdam ; il lui arrivait de rencontrer chez d’honnêtes fermiers du Holstein les Contes moraux de Marmontel, mais il n’avait pu trouver un Plutarque dans toute la ville de Hambourg (que n’allait-il tout droit à Klop-