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froid, joint à la peur et au chagrin, lui glaça le sang. Elle demeura quelque temps immobile ; une pensée sinistre se présenta tout à coup à elle ; la faiblesse qu’elle éprouvait lui donna l’idée de la mort, et, chose étrange, cette idée, qui ne dura qu’un instant et s’évanouit aussitôt, lui rendit ses forces. Elle regagna sa chambre, et s’y enferma de nouveau jusqu’au jour.

Dès que le soleil fut levé, elle descendit dans le parc. Cette année-là, l’automne était superbe ; les feuilles, déjà jaunies, paraissaient comme dorées. Rien ne tombait encore des rameaux, et le vent calme et tiède semblait respecter les arbres de la Honville. On venait d’entrer dans cette saison où les oiseaux font leurs dernières amours. La pauvre Margot n’en était pas si avancée, mais, à la chaleur bienfaisante du soleil, elle sentit sa peine s’adoucir. Elle commença à songer à son père, à sa famille, à sa religion ; elle revint à son premier dessein, qui était de s’éloigner et de se résigner. Bientôt même elle ne le jugea plus si indispensable qu’il lui avait semblé la veille ; elle se demanda quel mal elle avait fait pour mériter d’être bannie des lieux où elle avait passé ses plus heureux jours. Elle s’imagina qu’elle pouvait y rester, non sans souffrir, mais en souffrant moins que si elle partait. Elle s’enfonça dans les sombres allées, tantôt marchant à pas lents, tantôt de toutes ses forces ; puis elle s’arrêtait et se disait : Aimer, c’est une grande affaire ; il faut avoir du courage pour aimer. Ce mot d’aimer, et la certitude que personne au monde ne se doutait de sa passion, la faisaient espérer malgré elle, quoi ? elle l’ignorait, et, par cela même, espérait plus facilement. Son secret chéri lui semblait un trésor caché dans son cœur ; elle ne pouvait se résoudre à l’en arracher ; elle se jurait de l’y conserver toujours, de le protéger contre tous, dût-il y rester enseveli. En dépit de la raison, l’illusion reprenait le dessus, et comme elle avait aimé en enfant, après s’être désolée en enfant, elle se consolait de même. Elle pensa aux cheveux blonds de Gaston, aux fenêtres de la rue du Perche ; elle essaya de se persuader que le mariage n’était pas conclu, et qu’elle avait pu se tromper à ce qu’avait dit sa marraine. Elle se coucha au pied d’un arbre, et, brisée d’émotion et de fatigue, elle ne tarda pas à s’endormir.

Il était midi lorsqu’elle s’éveilla. Elle regarda autour d’elle, se souvenant à peine de ses chagrins. Un léger bruit qu’elle entendit à peu de distance lui fit tourner la tête. Elle vit venir à elle sous la charmille Gaston et Mlle de Vercelles ; ils étaient seuls, et Margot, cachée par un taillis épais, ne pouvait être aperçue d’eux. Au milieu