Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/648

Cette page a été validée par deux contributeurs.
644
REVUE DES DEUX MONDES.

Ô moment solennel ! ce peuple prosterné,
Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,
Ses vieux murs, son jour sombre, et ses vitraux gothiques ;
Cette lampe d’airain, qui, dans l’antiquité,
Symbole du soleil et de l’éternité,
Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue ;
La majesté d’un Dieu parmi nous descendue ;
Les pleurs, les vieux, l’encens, qui montent vers l’autel,
Et de jeunes beautés, qui, sous l’œil maternel,
Adoucissent encor par leur voix innocente
De la religion la pompe attendrissante ;
Cet orgue qui se tait, ce silence pieux,
L’invisible union de la terre et des cieux,
Tout enflamme, agrandit, émeut l’homme sensible ;
Il croit avoir franchi ce monde inaccessible,
Où, sur des harpes d’or, l’immortel séraphin
Aux pieds de Jéhovah chante l’hymne sans fin.
C’est alors que sans peine un Dieu se fait entendre :
Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre ;
Il doit moins se prouver qu’il ne doit se sentir.

Il y avait long-temps à cette date que la poésie française n’avait modulé de tels soupirs religieux. Jusqu’à Racine, je ne vois guère, en remontant, que ce grand élan de Lusignan dans Zaïre. M. de Fontanes essayait, avec discrétion et nouveauté, dans la poésie, de faire écho aux accens épurés de Bernardin de Saint-Pierre, ou à ceux de Jean-Jacques aux rares momens où Jean-Jacques s’humilie. Son grand tort est de s’être distrait sitôt, d’avoir récidivé si peu.

Dans le Jour les Morts, il s’était souvenu de Gray et de son Cimetière de Campagne ; il se rapproche encore du mélancolique Anglais par un Chant du Barde[1] ; tous deux rêveurs, tous deux délicats et sobres, leurs noms aisément s’entrelaceraient sous une même couronne. Gray pourtant, dans sa veine non moins avare, a quelque chose de plus curieusement brillant, et de plus hardi, je le crois. Les deux ou trois perles qu’on a de lui luisent davantage. Celles de Fon-

  1. Almanach des Muses, 1783. — Fontanes, dans son voyage à Londres, d’octobre 1785 à janvier 1786, vit beaucoup le poète Mason, ami et biographe de Gray. Les filles d’un ministre, chez qui il logeait, lui chantaient d’anciens airs écossais : « Il est très vrai, écrit-il dans une lettre de Londres à son ami Joubert, que plusieurs hymnes d’Ossian ont encore gardé leurs premiers airs. On m’a répété son apostrophe à la lune. La musique ne ressemble à rien de ce que j’ai entendu. Je ne doute pas qu’on ne la trouvât très monotone à Paris : je la trouve, moi, pleine de charme. C’est un son lent et doux, qui semble venir du rivage éloigné de la mer et se prolonger parmi des tombeaux. »