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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

noblement consolatrice. Ce Cri de mon Cœur semble avoir exhalé en une fois toute cette ferveur troublée de la jeune ame de Fontanes, et on n’en retrouvera plus trace désormais dans son talent pur, tendre, mélancolique, et moins ardent que sensible[1].

L’Almanach des Muses, de 1780, le fit plus hautement connaître, en publiant la Forêt de Navarre. Ce petit poème descriptif, vu à sa date, avait de la fraîcheur et de la nouveauté. L’auteur, en y développant une peinture déjà touchée dans la Henriade, y faisait preuve de son admiration pour Voltaire et de son amour pour Henri IV, deux traits essentiels qui ne le quittèrent jamais. Il y marquait par un vers d’éloge sa déférence à Delille, déjà célèbre depuis 1770 ; mais, même à cette heure de jeunesse première, il semblait plus sobre, plus modéré en hardiesse que ce maître brillant. On remarquait, à travers les exclamations descriptives d’usage, bien des vers heureux et simples, de ces vers trouvés, qui peignent sans effort :

Le poète aime l’ombre, il ressemble au berger…
L’oiseau se tait perché sur le rameau qui dort…
Foulant de hauts gazons respectés du faucheur…
Ils ne sont plus ces jours où chaque arbre divin

  1. Je veux être tout-à-fait exact : outre cette même pièce du Cri de mon Cœur, le Journal des Dames, de 1777 (par conséquent un peu antérieur à l’Almanach des Muses de 1778), contenait une lettre de Fontanes à Dorat, toujours dans ce ton exalté qui contraste singulièrement avec les idées désormais attachées en sens divers à ces deux noms de Dorat et de Fontanes. En voici quelques passages :

    « Monsieur, je m’étais promis de cacher avec soin les faibles essais de mon enfance, et de ne cultiver les lettres que pour me consoler de mes malheurs. C’était au fond d’un désert, et non dans le sein de la capitale, que j’avais résolu de vivre. La solitude convient mieux à l’infortune qui veut au moins se plaindre en liberté, que ces prisons fastueuses où des esclaves imitent les travers et les vices d’autres esclaves, où le vrai sage ne peut faire un pas sans colère ou sans pitié… Je me suis dit de bonne heure : Tu es malheureux, tu es sans appui ; tu es trop fier pour ramper ; végète donc dans une retraite ignorée. Paris n’est pas fait pour toi.

    « Si l’amour de la poésie me forçait, malgré moi, de lui sacrifier quelques heures, je ne peignais que mes douleurs ou les tableaux de la campagne que j’avais sous les yeux. Je me contentais de répandre mes plaintes dans des vers toujours dictés par mon cœur… J’ai eu pour atelier le bord des mers, les forêts, le sommet des montagnes. Je n’ai tracé que des scènes lugubres, analogues à ma situation. Ma poésie doit avoir des traits un peu sauvages et peut-être barbares… Quand je portais les yeux sur Paris, j’étais effrayé des périls où je m’exposerais en m’y montrant. Un homme de dix-huit ans, ignorant l’art de l’intrigue et de l’adulation, pouvait-il espérer, en effet, d’être accueilli dans la république des lettres ?… Ainsi, me disais-je, coulons dans le silence des jours déjà trop agités, et dont (ma faible santé l’annonce) le terme heureusement sera court.

    « Tel était le plan que je m’étais formé. Je vous vis alors, et je compris qu’il y avait plusieurs classes dans la littérature, etc. »

    Ce titre sentimental de la pièce, le Cri de mon Cœur, fut donné par Dorat lui-même ; Fontanes, quand il y resongeait depuis, en rougissait toujours.