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sert moral où ils font leur demeure. Quant à la philosophie, il ne sert de rien qu’elle nous dissimule, sous une fausse quiétude, le péril des questions ; à la fin le rideau se déchire, et l’on se trouve sans défense dans le désespoir. Au contraire, de la collision des écoles et des cultes opposés jaillit l’éclair de bon augure. Que chacun donc plaide sans se lasser pour sa foi ! L’humanité est le juge dans l’aréopage, et peu à peu le Dieu de tous apparaît sur l’autel inconnu.

Ne voyons-nous pas qu’un instinct naturel pousse les peuples douteurs à se rapprocher non pas seulement par la communication des corps, mais par la lutte et l’étreinte des esprits ? Quand l’aigle des Alpes quitte ses petits pour aller chercher au loin leur nourriture, ceux-ci, au lieu de se tenir séparés, se réchauffent mutuellement de leur duvet, et, luttant entre eux, ils se raniment jusqu’à ce qu’ils reçoivent leur pâture. Ainsi, les peuples, aujourd’hui privés de Dieu, s’efforcent de se pénétrer, de se connaître, de se réchauffer intimement les uns les autres ; ils sentent qu’en l’absence du père commun, s’ils restaient divisés, le froid arriverait jusqu’à l’ame ; et c’est leur cœur même qui périrait, et l’Éternel, en reparaissant au milieu d’eux, ne pourrait pas ranimer ces morts sous son aile.

L’humanité, il est vrai, pourrait bien trancher toutes ces difficultés en s’adorant elle-même. Assez de gens l’y convient, et chaque jour elle y incline davantage. Placé au plus haut degré de l’échelle des êtres terrestres, comme sur un trône inaccessible, le genre humain, ce prétendu roi de la nature, est à son tour, comme Saül, saisi de vertige. Toutes les créatures visibles lui forment son cortége ; ce qui n’est pas son courtisan est son esclave. Dans cette perpétuelle ivresse, comment ne s’écrierait-il pas : Je sens que je deviens Dieu ! Il le dit, en effet, par mille bouches dorées. Mais, malgré tout ce concert, ses titres sont encore en litige, et, pour moi, j’hésite à courber les genoux devant lui ; car, enfin, il fut un temps où l’homme manquait au monde ; et le monde, sans s’apercevoir de ce dénuement, poursuivait tranquillement sa carrière. Si c’est par droit d’ancienneté que l’homme se croit l’Éternel, le roseau est ici depuis plus long-temps que lui. Si c’est par le nombre, le sable de la mer a là-dessus l’avantage ; si c’est par droit de possession, le ver de terre lui conteste l’empire. Si c’est par le droit du plus fort, l’heure présente lui appartient en effet ; mais, comme il a détrôné, par son avénement, le roseau, le reptile, et je ne sais combien d’autres monarques qui, avant lui, ont régné légitimement et en maîtres absolus sur ce globe, qui m’assurera que le sceptre ne lui sera pas enlevé à son tour, par une