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que se réduit tout le débat. Jusqu’à quel point l’institution chrétienne est-elle assez souple pour que cette seconde réformation puisse s’achever sans rupture ? Le Dieu tout personnel du crucifix peut-il devenir le Dieu-Substance, sans que les peuples s’aperçoivent de ce changement, tant les gradations seront ménagées et insensibles ? Tout est contenu dans ces paroles. Le Christ, sur le calvaire de la théologie moderne, endure aujourd’hui une passion plus cruelle que la passion du Golgotha. Ni les pharisiens, ni les scribes de Jérusalem, ne lui ont présenté une boisson plus amère que celle que lui versent abondamment les docteurs de nos jours. Chacun l’attire à soi par la violence ; chacun veut le receler dans son système comme dans un sépulcre blanchi. Quelle transfiguration va-t-il subir ? Le Dieu de Jacob et de saint Paul deviendra-t-il le Dieu de Parménide, de Descartes et de son disciple Spinosa ? Nous vivons tous à notre insu dans l’attente de cette grande, de cette unique affaire.

Ceux qui veulent extirper le principe du christianisme, n’y réussiront pas, car il a fondé la grandeur et l’indépendance de la personne. Ceux qui veulent rejeter la philosophie n’y parviendront pas, car elle a révélé les lois nécessaires du genre humain. L’individu et la société, l’homme et l’humanité, ces deux puissances, pour la première fois également développées, également agrandies, sont partout en présence, dans la théologie, dans la philosophie, comme dans la politique ; qui saura les accorder ? Il n’est pas rare de trouver des gens qui demandent sur toutes ces choses une solution prompte et définitive. Je n’en connais qu’une seule de ce genre, et qui encore n’est qu’une transformation de la question ; c’est la mort. Que si, au contraire, vous voulez demeurer dans la vie, il faut consentir à demeurer avec nous dans la poursuite de l’éternel problème.

Il en est qui estiment que tout le mal est contenu dans l’école de M. Hegel ou dans le livre du docteur Strauss. Si ces deux noms étaient effacés, la paix rentrerait dans le monde. Ils ne voient pas, ce que j’ai cherché à établir plus haut, qu’ils ont eux-mêmes concouru à l’œuvre qu’ils renient, et que, pour renverser seulement l’école de Hegel, il faut détruire du même coup Descartes, puis la réforme, puis les scolastiques et les alexandrins, et ne pas même laisser subsister Aristote. Dans cette terreur panique, où s’arrêter ? Pour sauver le présent, allons-nous destituer tout le passé ?

D’autres avertissent nettement, loyalement[1], que d’un côté est

  1. Une partie de l’école de Hegel. Les travaux par lesquels MM. Reynaud et Leroux transforment chez nous la tradition du XVIIIe siècle, sont de ceux qui devraient le plus attirer l’attention de cette école.