Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/620

Cette page a été validée par deux contributeurs.
616
REVUE DES DEUX MONDES.

analogues à ceux des évangélistes ; si les paraboles dans les monumens primitifs ne sont pas expressément séparés du récit, et si par conséquent la démarcation de l’histoire et de l’allégorie n’a pas été observée par les écrivains eux-mêmes ? La préface de l’Évangile selon saint Luc, si raisonnée, si méthodique, si philosophique, est-ce bien là l’introduction d’un recueil de mythes ? Les épîtres de saint Paul ne portent-elles pas une telle empreinte de réalité que ce témoignage rejaillit sur l’époque précédente ? et cet homme, si semblable à nous, si voisin de nous que nous le touchons de nos mains, ne plaide-t-il pas pour la vérité, pour l’intégrité historique des personnages que nous n’atteignons que par son intermédiaire ? Voilà autant de points qu’il faudrait examiner de près. À l’égard de la comparaison des évangiles et des poèmes d’origine populaire, je l’accepte, et je dis : Charlemagne a été transfiguré par les imaginations du moyen-âge ; mais sous la fable était cachée l’histoire ; sous la fiction des douze paladins il y a l’auteur des Capitulaires, le conquérant des Saxons, le législateur et le guerrier. Comment, sous la tradition des apôtres, n’y aurait-il qu’une ombre ? Il me suffira aujourd’hui de livrer ces questions aux réflexions des lecteurs qui m’auront suivi jusqu’ici.

Ce qui ne peut manquer de frapper ceux qui entreront plus avant dans cet examen, c’est qu’au point de vue de l’auteur[1] le christianisme serait un effet sans cause. Comment cette figure dépouillée du Christ, ombre dont il ne reste aucun vestige appréciable, larve errante dans la tradition, aurait-elle dominé tous les temps qui ont suivi ? Je vois l’univers moral ébranlé, mais le premier moteur m’échappe. Si, dans le Nouveau Testament, il n’y a point de spontanéité, d’où est sortie la vie ? Le monde civil serait-il né d’un plagiat ? Si la nouvelle loi n’est rien autre chose que la reproduction de l’ancienne, si l’esprit de création n’a éclaté nulle part, si le miracle du renouvellement du monde ne s’est point accompli, que faisons-nous ici et que ne sommes-nous dans les murailles de l’ancienne cité ? Ce qui démontre, en effet, la grandeur personnelle du Christ, ce n’est pas tant l’Évangile que le mouvement et l’esprit des temps qui lui ont succédé. Je ne saurais rien des Écritures, et le nom même de Jésus serait effacé

  1. Je me sers, en général, de la première édition du livre du docteur Strauss. Dans la dernière, il a fait quelques concessions. Je m’attache ici au système en lui-même, plutôt qu’à suivre les fluctuations de l’auteur.