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Si maintenant l’on demande quel effet doit produire cet ouvrage sur l’esprit d’un homme impartial, en admettant qu’il y en ait de tels dans ces matières, je répondrai là-dessus sans détour. Prétendre que ce livre peut être jugé en dernier ressort par l’analyse que je viens d’en présenter, ce serait abuser déloyalement de ce qu’il n’a point été traduit dans notre langue. L’esprit d’une œuvre quelconque, de philosophie, d’art ou de critique, ne se reproduit pas ainsi en quelques lignes ; il y faut bien plus de circonspection qu’on ne se le figure en général. Combien ces difficultés ne s’augmentent-elles pas s’il s’agit d’un étranger ! Occupé tout entier à présenter dans leur crudité les résultats de l’auteur, j’ai dû négliger les nuances, les tempéramens, les préparations, et surtout le cortége de preuves qui ne le quittent jamais. Malgré moi, je me serai attaché aux parties les plus saillantes qui dénoncent le mieux l’esprit général d’une école, au risque de laisser dans l’ombre quelques-uns des traits particuliers de l’écrivain. Sa pénétration dans le monde des détails, son amour sincère de la vérité, le succès même de son explication en mainte rencontre, le stoïcisme d’un langage vrai, net, qui, dégagé du jargon des écoles, va droit au but, et que quelques-uns de ses adversaires ont comparé à celui de Lessing, sa fermeté, son indépendance d’esprit, sa dureté même, qui le fait entrer comme un fer aigu dans les entrailles des choses, quand d’autres s’arrêtent mollement aux surfaces, enfin son érudition rare et profonde, voilà ce que personne de sensé ne lui contestera. Il a rendu l’affreux service de sonder, de palper, d’élargir la plaie vivante de notre temps avec plus de vigueur, de logique et d’intrépidité que personne, si bien que l’indifférence même en a tressailli et s’est relevée en criant sur sa couche ; et, lorsqu’on prend ce livre, si triste, si glacé, si tranchant, il faut redire le mot de cette femme en se poignardant : « Cela ne fait point de mal. »

Avec le même désir de rester dans la vérité, je reconnaîtrai que, dès l’ouverture de cette histoire, on voit clairement que le système est conçu par avance ; qu’il ne naît pas nécessairement des faits ; qu’au contraire l’auteur, avec la ferme volonté de tout y ramener, ne s’en démettra devant aucun obstacle ; que, par là, il est entraîné à une intolérance logique qui ressemble à une sorte de fanatisme, et rappelle, avec plus de sang-froid et de maturité, l’esprit exterminateur de Dupuis et de Volney. J’ai même quelque sérieuse raison de croire que, revenu de la première fougue de la discussion, il ne serait pas éloigné de reconnaître la justesse de cette critique.

Un second reproche que je ferai à cet ouvrage, parce que la cri-