Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/611

Cette page a été validée par deux contributeurs.
607
DE LA VIE DE JÉSUS.

la question, d’une part on aurait des maximes hébraïques, de l’autre des sentences de la philosophie grecque. Mais la doctrine de Jésus, à dire vrai, aurait disparu aussi bien que sa personne. Nulle certitude historique, nulle authenticité, sinon dans quelque débris de la polémique soutenue contre les pharisiens. L’auteur veut bien reconnaître, dans ces démêlés, le ton et l’accent de la dialectique des rabbins.

La dernière partie de l’ouvrage où convergent tous les rayons du scepticisme moderne entame des questions qu’en France nous sommes plus accoutumés à voir controversées. Le modèle de ce genre de polémique se trouve dans la fameuse lettre de Rousseau sur les miracles ; mais ici la science est beaucoup plus grande, et le système tout différent. Les miracles de l’Évangile sont ou des paraboles prises plus tard pour des histoires réelles, ou des légendes, ou des copies de ceux de l’Ancien Testament. La multiplication des pains rappelle la manne dans le désert, et les vingt pains dont Élisée nourrit le peuple. L’eau changée en vin est une réminiscence de l’eau saumâtre convertie par le prophète en une eau vive. Quelquefois le Nouveau Testament se copierait lui-même, comme dans le signe du figuier frappé de stérilité ; ce prodige serait la contre-partie d’une parabole racontée plus haut. Pour achever, qu’est-ce que la transfiguration du Christ sur le mont Thabor ? — Un reflet, une copie de celle de Moïse sur le mont Sinaï. — Mais l’apparition de Jésus au milieu de Moïse et d’Élie n’implique-t-elle rien en soi de particulier ? — Un pur emblème pour signifier que Jésus est venu accorder la loi personnifiée dans l’un et les prophètes représentés par l’autre. Il ne s’agit donc pas ici, comme je le croyais, de la transfiguration du Christ ? — Non, assurément, mais de la transfiguration d’une idée chrétienne. Reste à savoir maintenant où s’arrêterait un catéchisme continué dans ces termes.

J’arrive à la passion. À véritablement parler, l’auteur n’admet ici rien d’historique, excepté le crucifix qui encore lui rappelle le serpent d’airain suspendu à l’arbre de Moïse. Pour parler son langage, les scènes qui précèdent l’emprisonnement sont des mythes du second degré dans l’Évangile selon saint Jean, des mythes du troisième degré dans les Évangiles selon saint Matthieu, saint Marc et saint Luc. Il part de ce principe que l’ancienne loi n’annonce nulle part un Messie souffrant, que les figures que l’on a tirées d’Ésaïe s’appliquent au corps des prophètes, non à la personne du Christ dont l’Ancien Testament, au contraire, a toujours annoncé et exalté le triomphe temporel. L’esprit tout rempli de la présence de leur maître bien-aimé,